Camille FLAMMARION, un astronome mystique
Le nom de Flammarion évoque d’emblée la prestigieuse maison d’édition dont, jusqu’en 2005, le siège se situait rue Racine à Paris en plein Quartier latin. C’est en 1875 qu’Ernest FLAMMARION crée une maison d’édition, qui fusionne l’année suivante avec celle du libraire Charles MARPON. Les deux compères étendent bientôt leur activité en rachetant le fonds d’un éditeur belge, dont le catalogue comprend les œuvres de Victor HUGO et d’Émile ZOLA. C’est alors qu’entre en scène le frère aîné d’Ernest, Camille FLAMMARION (ci-dessous), un personnage fantasque haut en couleur qui va permettre à la maison d’édition de prendre un réel essor grâce à un projet d’encyclopédie scientifique grand public : L’Astronomie populaire.
Né en 1842 à Montigny-le-Roi, Camille FLAMMARION entame des études au séminaire de Langres avant de rejoindre, à quatorze ans, sa famille établie à Paris. Apprenti chez un artisan ciseleur, il se perfectionne au dessin en acquérant un talent qu’il utilisera plus tard. Parallèlement, il suit des cours du soir pour préparer un baccalauréat, qu’il passe avec brio en 1858. Témoignant de grandes dispositions dans le domaine scientifique, et en particulier pour l’astronomie, il parvient, aidé par son médecin qui avait repéré sa grande érudition, à rentrer à l’Observatoire de Paris comme élève astronome attaché au bureau des calculs. Même s’il reconnaît la valeur des travaux qui y sont menés, il ne tarde pas à critiquer une institution qu’il juge focalisée à tort sur la théorie et les spéculations mathématiques. Il précise sa position en écrivant : “Certes, je suis loin de dire que l’on ne travaille pas à l’Observatoire de Paris, mais c’est un fait général que les travaux particuliers, effectués avec amour, sont exécutés avec plus de soin et vont beaucoup plus vite que ceux d’une administration.” Après ses heures de cours, pour perfectionner sa pratique, il assiste le professeur Jean CHACORNAC dans ses observations nocturnes et apprend à maîtriser la manipulation des lunettes astronomiques.
Scientifique accompli, FLAMMARION est également une personnalité mystique. Il est particulièrement marqué par les livres d’Allan KARDEC, qu’il rencontre en personne en 1861 au cours de séances de spiritisme. En 1862, alors qu’il n’a que vingt ans, il publie un essai singulier intitulé La Pluralité des mondes habités, qui se veut une « étude où l’on expose les conditions d’habitabilité des terres célestes, discutées au point de vue de l’astronomie et de la physiologie”. Dans ce court opuscule d’une cinquantaine de pages, il défend avec passion l’idée que d’autres planètes sont habitées. S’il n’est pas le premier à émettre cette hypothèse, en mélangeant allégrement science et mysticisme il crée un beau scandale chez les scientifiques. En revanche, il obtient un beau succès public pour le livre qui sera réédité à plusieurs reprises. La parution de l’ouvrage lui attire les foudres du directeur de l’Observatoire, le très colérique Urbain LE VERRIER, qui le chasse de son service. Mais le directeur du bureau des longitudes, ennemi juré du “tyran” de l’Observatoire, le recrute aussitôt pour participer à l’élaboration du fameux annuaire.
Un infatigable vulgarisateur
Quelques années plus tard, devenu un des rédacteurs de Cosmos, FLAMMARION publie des articles dans plusieurs revues, dont Le Magasin pittoresque et Le Siècle, journal dans lequel il relatera ses expériences sur l’atmosphère effectuées à bord d’un aérostat. Il donne de nombreuses conférences afin de familiariser le grand public aux avancées en matière d’astrophysique. Pour ce faire, il présente à l’aide d’un projecteur des vues astronomiques jusqu’alors réservées au milieu des astronomes. Il conforte sa stature de vulgarisateur scientifique par de nouvelles publications, comme Les Merveilles célestes et Histoire du ciel. Il ne reniera jamais, sans que sa crédibilité scientifique n’en soit écornée pour autant, son goût pour le mysticisme et l’ésotérisme, ainsi que ses croyances en une vie extraterrestre que l’on retrouve à nouveau développées dans un ouvrage intitulé Les Terres du Ciel.
Fort de ses succès éditoriaux, notre homme caresse un autre projet : une encyclopédie d’astronomie destinée au grand public. Avant lui, plusieurs auteurs, comme Auguste COMTE, Joseph VINOT et Amédée GUILLEMIN, ont déjà tenté d’élaborer des ouvrages pour mieux diffuser une science encore largement méconnue d’une grande partie de la population. Mais c’est à François ARAGO, un autre grand scientifique, qu’il choisit de se référer pour reprendre, synthétiser et “moderniser” son Astronomie populaire (ci-dessous). Ce livre, publié à titre posthume en 1854, reprend les cours publics donnés par le savant quand il était à la tête de l’Observatoire de Paris.
Une description lyrique de l’univers
Il convainc son frère cadet d’investir les bénéfices engrangés, grâce au succès de la parution d’une version illustrée de L’Assommoir, dans la publication de son ambitieux ouvrage, L’Astronomie populaire, description générale du ciel (ci-dessous), qui sortira au cours de l’année 1880 et rencontrera un immense succès public. En 1914, 125 000 exemplaires auront été vendus, chiffre considérable pour un livre spécialisé traduit en plusieurs langues dont l’anglais et l’espagnol. Le titre est couronné en 1881 par le prix Montyon de l’Académie française, qui récompense la valeur éminemment pédagogique du livre mais également la qualité littéraire de son auteur. Pourtant, le style de FLAMMARION, en rupture avec la sobriété toute professorale de ses prédécesseurs, l’entraîne souvent dans des envolées lyriques voire emphatiques, dont voici un échantillon : “Ô pontifes des Aryas ! ô sacrificateurs des Incas ! ô thérapeutes de l’Egypte ! et vous, philosophes de la Grèce, alchimistes du Moyen Âge, savants des temps modernes ! ô penseurs de tous les âges : devenez muets devant l’astre sublime.”
Les frères FLAMMARION font également le pari payant de réaliser un livre magnifique, doté d’une reliure très soignée et attrayante (ci-dessous), au contenu richement illustré, intitulé L’Astronomie populaire.
Cet ouvrage contient plus de 360 gravures, schémas et cartes, ainsi que des planches en couleurs, réalisées grâce au procédé de la chromolithographie (ci-dessous).
Usant d’une prose vivante et très imagée, émaillée d’anecdotes et de petites digressions historiques, FLAMMARION ne doute pas de la haute valeur scientifique mais aussi morale de sa mission : “L’astronomie est la vraie science intégrale, et elle est aussi la vraie religion de l’avenir ; elle seule nous fait vivre dans l’immense et nous rend indulgents pour les petitesses humaines ; elle seule nous fait apprécier l’insignifiance de la vie matérielle, la grandeur de l’intelligence et la beauté intellectuelle de l’univers ; aujourd’hui, toute âme peut faire son ascension dans les cieux. Peut-être est-ce ici le lieu de répéter les premières lignes par lesquelles cette description générale de l’univers a été commencée : ce livre est écrit pour tous ceux qui aiment à se rendre compte des choses qui les entourent, et qui seraient heureux d’acquérir sans fatigue une notion élémentaire et exacte de l’état de l’univers.”
L’auteur adopte un plan d’ensemble assez simple, en proposant à son lecteur de commencer par la Terre, avec la description de ses mouvements et l’histoire de sa formation, avant de s’attarder sur notre plus proche voisine la Lune (ci-dessous), puis d’aborder le Soleil “gouverneur du monde”, dont il décrit entre autres les tâches et les éruptions. Ensuite, il passe en revue les principaux astres du système solaire, de Mercure à Neptune – Pluton ne sera découvert qu’en 1930 -, avant d’évoquer plus brièvement les comètes, les étoiles filantes et les aérolithes. La dernière partie, dense et riche en hypothèses, décrit l’espace lointain des étoiles et de l’univers sidéral, c’est-à-dire la voie lactée et les différentes constellations.
Tout en s’efforçant d’être clair dans son propos et d’éviter de recourir au jargon scientifique pour rester intelligible au plus grand nombre, il ne fait pas l’impasse sur certains sujets pointus, comme les six différentes méthodes utilisées pour déterminer la distance nous séparant du Soleil, l’analyse spectrale, la composition chimique et physique des astres. Il affiche très clairement sa préférence pour l’astrophysique expérimentale liée aux observations directes, plutôt qu’à l’astronomie purement théorique basée sur des modélisations mathématiques ; domaine dans lequel il a pourtant fait ses preuves. Difficile de ne pas voir dans ce plaidoyer une attaque contre LE VERRIER, auquel il reproche de ne jamais utiliser un télescope. Il éreinte son ancien directeur par quelques formules assassines : “Pour lui, du reste, déjà et toujours, jusqu’à la fin de sa vie, l’astronomie était tout entière enfermée dans les formules (…) La connaissance essentielle de l’univers consistait pour lui en équations, en formules, en séries de logarithmes, ayant pour objet la théorie mathématique des vitesses et des forces.”
Dans son ouvrage, FLAMMARION n’hésite pas à utiliser la première personne du singulier pour mettre en avant ses travaux et ses conclusions. Il profite de la tribune qui lui est accordée pour lancer deux appels : dans le premier, il demande la création d’une Société astronomique de France, et dans le second il propose une souscription pour la création d’un observatoire populaire, au motif que “l’Observatoire de Paris n’a pas été créé pour instruire le public. C’est une lacune à combler et il ne paraît pas impossible qu’un observatoire bien organisé puisse remplir les deux buts : la science ; l’instruction publique”. Notre astronome aura la grande satisfaction de voir se réaliser ses deux souhaits de son vivant.
En 1882, il crée une revue mensuelle, sobrement intitulée L’Astronomie, qui connaît un beau succès aussi bien auprès des scientifiques confirmés que des observateurs amateurs. Cinq ans plus tard, la Société astronomique de France est fondée à Paris. Entretemps, grâce à un riche mécène bordelais, FLAMMARION a racheté un ancien relais de poste à Juvisy-sur-Orge, qu’il transforme en observatoire astronomique moderne et bien équipé, où les futurs grands noms de la recherche viendront faire leurs armes.
Jusqu’à sa mort, qui survient le 3 juin 1925, l’infatigable Camille FLAMMARION continue à œuvrer pour populariser l’astronomie. Sa riche bibliographie comprendra au total plus d’une cinquantaine d’ouvrages de vulgarisation scientifique, dont Les Merveilles du ciel (1881), Petite Astronomie descriptive (1887), L’Atmosphère : Météorologie populaire (1888), ou encore L’Astronomie élémentaire (1892) et L’Astronomie des dames (1903). Autre grand succès d’édition, L’Annuaire astronomique Flammarion deviendra le livre de référence de plusieurs générations d’amateurs, de même que le Grand Atlas céleste, répertoriant plus de 100 000 étoiles.
S’il n’a pas été le premier à vouloir vulgariser l’astronomie, FLAMMARION sera sans conteste pour la postérité celui qui a rencontré le plus de succès dans son entreprise de vulgarisation et suscité le plus de vocations. À ce titre, nous vous conseillons de lire la thèse de Colette LE LAY, intitulée Les Livres de vulgarisation de l’astronomie (1686-1880), cette dernière date correspondant à celle de la parution de L’Astronomie populaire.
Pour en savoir plus sur un personnage à la fois original et fascinant, nous vous proposons cette émission de France Culture datée de 2017, ou l’émission de la série Au cœur de l’histoire (ci-dessous Options Thèmes).
Je suis le petit fils du colonel Hadj Chérif Cadi, qui fut un ami de Flammarion . J’achève une biographie de mon grand père mais le secrétariat de la Société d’Astronomie n’a pas souhaité que je puisse accéder à la commission historique qui aurait pu me donner quelques informations sur mon grand père, le seul polytechnicien d’Algérie qui reste encore mal aimé par les Algériens. Je suis un Premier Président honoraire de la Cour de Rouen, et officier de la Légion d’honneur et davantage…
jybcadi@gmail.com
Merci de votre aide en pouvant m’envoyer d’autres informations sur le Colonel Chérif Cadi, ancien polytechnicien qui a entretenu une correspondance avec Camille Flammarion. Il était un fervent d’astronomie. j’ai quelques courriers entre eux. Mon projet est justifié par le fait que mon grand père, musulman, été considéré comme un mécréant,car naturalisé et marié avec ma grand mère Je française….Donc oublié…
Je suis encore Premier Président honoraire de la Cour d’Appel de Rouen et Officier de la Légion d’Honneur et d’autres….
Bonjour,
Notre billet était centré sur Flammarion, et je n’ai pas d’archives concernant votre aïeul. Suite à votre message, j’ai fait quelques recherches sur le net. Je pense que vous les connaissez déjà (dont un film de l’INA https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cpd14002883/cherif-cadi), mais je vous transmets les liens :
https://journals.openedition.org/sabix/2582
http://xaviersoleil.free.fr/article/bertrand-cadi-colonel-si-cherif-cadi.html
https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2005_num_92_348_4176_t1_0302_0000_2
https://gw.geneanet.org/pierfit?lang=fr&n=cadi&oc=0&p=cherif
En vous souhaitant bonne chance dans la poursuite de vos recherches