Bien avant l’achèvement de la décolonisation de l’Afrique, l’idée d’une encyclopédie consacrée à l’ensemble du continent et des nouveaux États est évoquée pour la première fois au Ier congrès international des africanistes qui se tient à Accra en décembre 1962. Mais les rivalités géopolitiques, s’ajoutant aux guerres civiles et aux derniers conflits coloniaux, les problèmes intérieurs, les tensions ethniques et religieuses, la priorité donnée au développement économique et un contexte international de guerre froide sont autant de facteurs qui ne favorisent pas l’aboutissement d’une coopération panafricaine sur le sujet. C’est donc hors du continent africain que va prendre corps le projet d’une encyclopédie générale de l’Afrique.
Entre 1964 et 1968, les éditions Larousse proposent une Encyclopédie africaine et malgache consacrée aux anciennes colonies françaises et belges devenues des États indépendants entre 1958 et 1962. Une publicité précise qu’il s’agit « du premier ouvrage de ce genre édité en France pour les lecteurs des pays africains d’expression française ». Cette collection, qui comprend au final près de 30 volumes, est constituée de tomes généraux thématiques, comme l’histoire de l’Afrique, et de tomes consacrés à un pays ou à un groupe de pays : c’est ainsi que le Maroc, l’Algérie et la Tunisie se trouvent rassemblés dans un seul et même volume.
Mais cette encyclopédie va vite se révéler décevante, les spécialistes soulignant le fait que des parties entières sont reproduites à l’identique dans les différents volumes reliés et que les chapitres spécifiques aux pays sont limités à des fascicules de 40 pages au plus. Au final, le contenu de l’ouvrage est jugé insuffisant, éclectique et peu original.
Interprète et traducteur travaillant pour de grandes organisations internationales, Jon WORONOFF est également écrivain et journaliste. Déjà auteur de livres sur l’Afrique, il est contacté en 1973 par les éditions Scarecrow Press afin de développer un projet pour lequel l’éditeur peine à recruter des spécialistes qualifiés : une série de dictionnaires consacrés à la culture et à l’histoire des pays d’Afrique.
Ces livres constitueront la série des African Historical Dictionaries qui seront par la suite rebaptisés en Historical Dictionaries of Africa. Le premier ouvrage de la série consacré au Cameroun est publié en 1974. Au bout d’une trentaine d’années, cette série de dictionnaires couvrira l’ensemble des pays africains, soit près de 54 pays, du Maroc au Swaziland, de la Guinée équatoriale à Madagascar et aux Comores, de l’Égypte à la Namibie et au Tchad.
D’abord publiée par Scarecrow Press, une maison d’édition américaine réputée pour la qualité de ses publications sur les sciences humaines et les travaux universitaires, après le rachat de l’éditeur la collection est reprise et poursuivie par le groupe Rowman & Littlefield publishing group.
Initialement réservés à un public universitaire, ces livres sont conçus pour être des outils destinés aux chercheurs et aux étudiants qui apprécient particulièrement leurs bibliographies très travaillées. Après un long chapitre d’introduction qui présente la population, la géographie et l’histoire du pays, le dictionnaire proprement dit en dresse un portait exhaustif et détaillé.
Cette collection constitue la première véritable encyclopédie qui embrasse l’ensemble du continent africain. Mais, comme tout projet d’envergure bâti sur le long terme, elle présente de nombreux défauts. Le premier est de ne pas toujours disposer d’informations et de statistiques fiables et vérifiables, et même s’ils en disposent, les gouvernements locaux sont souvent peu enclins à les communiquer en externe. L’autre inconvénient réside dans l’obsolescence programmée de ce genre de livres, d’autant qu’en Afrique les bouleversements économiques et politiques sont souvent soudains et imprévisibles et rendent très vite inexacte la situation décrite. Ces évolutions souvent brutales nécessiteraient des rééditions actualisées régulières, difficilement viables d’un point de vue économique et commercial.
Par exemple le volume ci-dessous consacré à la Haute-Volta, daté de 1978, est devenu obsolète en 1984 après l’arrivée au pouvoir de Thomas SANKARA qui, rebaptisant le pays Burkina Faso, entreprendra une série de réformes économiques et sociales. Une seconde édition est publiée en 1998, soit plus de dix ans après l’assassinat de SANKARA et la prise du pouvoir par Blaise COMPAROÉ. Une troisième édition est sortie en 2013, sans bien sûr intégrer la révolte de 2014 et le départ de ce dernier.
Nous pourrions aussi évoquer le cas de pays ayant subi de terribles et longues guerres civiles comme la République démocratique du Congo, ex-Zaïre, ou la Sierra Leone. Quant au Libéria, il devra attendre 2001 pour voir publier une seconde édition du tome qui lui est consacré, le premier datant de 1985. Malgré l’apparition d’un nouveau pays, le Sud-Soudan, l’éditeur a choisi de traiter l’ensemble des deux Soudan dans le même tome. À noter que WORONOFF et ses collaborateurs ont pris position sur la question du Sahara occidental, lui attribuant le titre de “last remaining colony in Africa”, et lui consacrent un tome entier qui, en 2006, en était à sa troisième édition.
Autre reproche récurrent fait à la série, celui d’“occidentalocentrisme”. Les premiers livres ont été rédigés par des spécialistes reconnus, mais tous issus du milieu universitaire américain ; par exemple, c’est Samuel DECALO, professeur de sciences politiques d’origine bulgare, émigré aux États-Unis, qui a réalisé les volumes consacrés au Bénin, au Tchad, au Congo, au Niger et au Togo. Conscient de ce fait, WORONOFF a souvent avancé des difficultés auxquelles il se heurterait pour trouver dans certains pays d’Afrique des spécialistes suffisamment qualifiés et “formés”. Mais la tendance s’inverse, et des universitaires africains originaires des pays concernés sont désormais mobilisés pour écrire sur leur pays. C’est ainsi qu’Aimable TWAGILIMANA a rédigé le volume consacré au Rwanda, et David OWUSU-ANSAH celui du Ghana ; précisons cependant que, tout en étant africains d’origine, ces auteurs sont aussi professeurs dans des universités américaines.
Malgré ces réserves, la collection est devenue une référence pour les étudiants et les chercheurs. La formule des Historical Dictionaries continue à se diversifier et à se développer jusqu’à nos jours, avec des séries consacrées aux Amériques, à l’Asie, à l’Europe, aux religions, à la diplomatie et aux relations internationales ou aux femmes dans le monde.
Avant de mettre un point final à cet article, saluons une belle initiative récente portée par la Ghanéenne Nana OFORIATA-AYIN. Écrivain, cinéaste et historienne, celle-ci a présenté courant 2017 son ambitieux projet d’encyclopédie de la culture africaine.
Cette encyclopédie, consacrée à l’art et à la culture au sens large, devrait se concrétiser par la parution d’un livre par pays. La jeune femme s’est entourée d’une équipe de 14 spécialistes, composée d’écrivains, de musiciens, de réalisateurs et d’artistes. Actuellement elle a entrepris un travail de collecte pour réaliser un premier volume consacré à son pays natal. Une plate-forme numérique participative dénommée Cultural encyclopædia, accessible en ligne et alimentée par des équipes de recherches, lui sert de base de documentation. Un projet que Dicopathe ne manquera pas de suivre avec beaucoup d’intérêt…