La guerre des dicos
Pour les rédacteurs de Dicopathe, comme probablement pour la majorité de nos visiteurs, le dictionnaire représente avant tout un objet de savoir et de culture. Il est pourtant impossible, dans le domaine de la lexicographie comme dans celui de toute entreprise éditoriale, de faire abstraction des enjeux financiers qui sont sous-jacents. En effet, dès le moment où la parution d’un ouvrage prend une certaine envergure, elle implique pour l’éditeur un investissement dont il attend un retour. Fort logiquement, compte tenu des sommes engagées, querelles et procès ne pouvaient épargner l’industrie du livre et de l’édition. Dans le domaine spécifique du dictionnaire, un cas est resté emblématique, celui de la procédure engagée contre le Maxidico.
Au milieu des années 1990, le marché français du dictionnaire monolingue se porte au mieux, Internet n’ayant pas encore bouleversé le paysage. Quatre grandes références se partagent le marché : le Petit Robert, le Petit Larousse, le Dictionnaire Hachette et le Dictionnaire de la langue française de Flammarion. Mais en septembre 1996, alors que les achats de rentrée battent leur plein, un nouveau venu vient chasser ouvertement sur les plates-bandes des éditeurs en place. Publié par les Éditions de la connaissance, filiale du groupe Maxi-Livres Profrance, le Maxidico (ci-dessous) est lancé simultanément dans les 180 boutiques Maxi-Livres et le réseau de la grande distribution.
Maxidico = maxi-procès
Le succès de l’éditeur est fulgurant et même phénoménal, puisque ce sont 300 000 exemplaires qui sont écoulés pendant la seule année 1996, bouleversant d’un coup le quasi-monopole dont ses concurrents jouissaient jusqu’à présent. La raison du succès tient incontestablement au fait que ce dictionnaire est proposé à un prix bien inférieur à celui des autres titres de référence. Il ne coûte que 99 francs, alors que pour acquérir le Petit Robert il faut débourser 379 francs, tandis que le Dictionnaire Hachette et le Petit Larousse sont vendus chacun 249 francs. Cette importante différence de prix s’avère d’autant plus déterminante que la qualité du nouveau livre est incontestable. Ses 1 716 pages en couleur contiennent près de 130 000 définitions et 2 500 illustrations. Certains universitaires et des journalistes, comme Olivier BARROT (ci-dessous), ne manquent pas d’en faire l’éloge et la promotion.
L’arrivée de cet “importun” ne pouvait manquer de susciter des réactions virulentes de la part des autres maisons d’édition. Alors que le Maxidico continue sur sa lancée pendant l’année 1997 en écoulant encore 130 000 exemplaires, ses concurrents décident d’engager une action juridique à son encontre. L’angle d’attaque choisi par Larousse, bientôt suivi par Robert, est celui d’une contrefaçon qui permettrait à Maxi-Livres de casser les prix à bon compte. Ils reprochent à l’éditeur du Maxidico d’avoir “parasité” ses illustres devanciers en profitant, sans contrepartie et sans les citer explicitement, du considérable travail effectué en amont par leurs lexicographes, comportement fautif qui constituerait une infraction de concurrence déloyale et de spoliation intellectuelle.
Reste alors à démontrer le plagiat… Depuis des siècles, les auteurs de dictionnaires n’ont cessé de s’appuyer sur le travail de leurs prédécesseurs pour accoucher d’un ouvrage qui ensuite sera lui-même repris par de nouveaux auteurs. Ancien haut responsable chez Hachette, Vincent BRUGÈRE-TRELAT avait ainsi joliment résumé le phénomène : « Chaque dictionnaire, depuis qu’il y a des dictionnaires, épaule les autres dictionnaires. On se fait la courte échelle. »
La procédure débute en juin 1997. De multiples ressemblances, en particulier des définitions reproduites mot à mot, sont avancées par les plaignants. Cependant, contre toute attente, c’est un autre élément qui permettra d’emporter la décision en démontrant le plagiat de manière incontestable. Dans le Petit Robert, de nombreuses dates citées étaient erronées dans le sens où elles avaient été volontairement arrondies à la dizaine inférieure ou à la dizaine supérieure. Or dans le Maxidico celles-ci se retrouvent telles quelles, attestant que l’un des dictionnaires avait bien servi à rédiger l’autre.
Dès lors l’affaire est entendue, et le 5 janvier 1998 la société Maxi-Livres Profrance est condamnée pour contrefaçon par le tribunal de commerce de Paris. L’éditeur doit verser 6,5 millions de francs de dommages et intérêts à Larousse-Bordas et 3 millions à Robert. La fabrication et la vente du livre incriminé sont interdites sous peine de 5 000 francs d’astreinte par infraction, et les stocks existants sont saisis. Dès le 12 janvier la société fait appel de la décision qui se verra finalement confirmée. Le directeur général du Robert, Pierre VARROD, ne cache pas sa satisfaction, ne se privant pas de souligner l’importance de cette décision de justice : « Maxidico avait pompé et opéré un astucieux mélange des textes des divers dictionnaires existants. Fait important, il a été reconnu que le choix des mots et les définitions sont une œuvre intellectuelle. »Épilogue inattendu de cette histoire, les éditions Hachette comprennent, grâce à l’épisode du Maxidico, l’intérêt qu’aurait leur maison à jouer sur le prix de vente pour gagner des parts de marché et ainsi permettre à son dictionnaire de gagner en notoriété. C’est ainsi que dès 1997 cet éditeur sort un dictionnaire au prix ultra-compétitif de 89 francs, avant, une fois conquises les parts de marché, de le faire remonter à 129 francs, prix malgré tout très attractif. Conséquence directe de cette “guerre des dictionnaires”, l’éditeur du Petit Larousse illustré se voit lui aussi contraint de baisser son prix de vente de 249 à 210 francs.
Si vous voulez vous plonger dans les coulisses de cette histoire, nous vous invitons à consulter le chapitre Guerre dans l’excellent Dico des dictionnaires de Jean PRUVOST.
Un article fort intéressant sur la “guerre des dictionnaires”.
Passionnant ! Je ne connaissais pas cette histoire.
Bonjour, il fallait rediffuser cette information bénéfique à notre communauté de dicopathes.
Merci.