L’évolution spéculative
Le fameux Big Bang, qui a eu lieu 13,7 milliards d’années avant notre époque, a donné naissance à notre système solaire il y a 4,55 milliards d’années, mais la vie ne serait apparue sur notre planète qu’à une période estimée entre 4 et 3,5 milliards d’années avant notre ère. En partant de simples micro-organismes unicellulaires, les formes de vie vont se multiplier, se complexifier et foisonner, d’abord dans la mer puis sur la terre ferme. Les premiers hominidés n’apparaîtront qu’il y a 7 millions d’années, et la présence de l’Homo sapiens, dont nous descendons, n’est attestée qu’à partir d’il y a 200 000 ans.
Pendant des siècles, l’humanité s’est interrogée sur l’origine de l’espèce humaine mais aussi sur les différentes espèces animales et végétales qui peuplent la Terre. Longtemps dominante, la théorie de la génération spontanée se trouve battue en brèche au XIXe siècle par la théorie de l’évolution. Celle-ci, défendue par Charles DARWIN, est simple : les espèces animales et végétales ont dû s’adapter pour survivre aux variations de leur environnement, et seules celles qui sont parvenues à survivre ont eu une descendance, selon le principe de la sélection naturelle. Ce n’est qu’au terme de cette longue évolution que les humains feront leur apparition au milieu des autres êtres vivants.
Même si nous avons l’impression de vivre désormais dans une certaine stabilité, l’évolution biologique, lente et difficilement perceptible à notre échelle de temps, ne cesse de se poursuivre, d’autant que la Terre est désormais soumise à une modification accélérée de son environnement du fait de nos évolutions techniques et socio-économiques. Dans ce contexte, nous sommes amenés à nous demander ce qu’il adviendra, dans un futur lointain, de l’homme, des animaux et des végétaux. Une branche de la zoologie et de l’anthropologie est chargée de répondre à cette interrogation : il s’agit de l’évolution spéculative, science qui tente de représenter la manière dont les espèces se modifieront biologiquement sur le long terme.
Les extrapolations de Dixon : préscience ou pure imagination ?
Paléontologue et géologue écossais, Dougal DIXON se présente comme un auteur très prolifique qui, à travers près de 200 ouvrages, cherche à faire partager à la jeune génération son savoir et sa passion pour les dinosaures. Sensible à la cause écologique et marqué par la disparition programmée de nombreuses espèces animales, il s’efforce d’imaginer ce qu’il pourrait advenir de la faune sur Terre, dans un futur où l’humanité aurait disparu.
En 1981, il publie After Man (ci-dessous), livre qui débute par une introduction de son compatriote britannique, le zoologue et éthologue Desmond MORRIS.
Dans son ouvrage, DIXON fait un bond de cinquante millions d’années pour retrouver une Terre qui a évolué au gré de la dérive des continents. C’est ainsi que l’Europe et l’Afrique ont fusionné après la disparition de la Méditerranée ; la corne de l’Afrique est devenue une île ; l’Australie est rattachée au sous-continent indien ; la mer de Béring est comblée, l’Amérique du Nord ne faisant plus qu’un seul continent avec l’Asie ; un bras de mer sépare désormais les deux Amériques. Enfin, dans le Pacifique, de nouvelles îles et archipels volcaniques ont surgi des flots, dont certaines baptisées Batavia et Pacaus.
À cette époque, les espèces dominantes, à commencer par l’homme, les grands carnivores et les grands mammifères comme les baleines et les éléphants, ont disparu depuis très longtemps. Des animaux, que nous pourrions qualifier de “secondaires”, occupent désormais toute la place après avoir évolué sous la pression d’un nouvel environnement. Même s’il lâche la bride à son imagination, DIXON tient avant tout à s’inscrire dans une démarche scientifique. Il applique à des animaux existants les règles d’évolution anatomique observées par ailleurs et soumises aux modifications prévisibles des différentes zones climatiques.
C’est ainsi que dans son monde du futur nous retrouvons un lapin qui a considérablement grandi, au point d’atteindre la taille d’un cerf. Les pattes de ce nouveau mammifère, baptisé Rabbuck (ci-dessous à gauche), se sont modifiées et son cou démesurément allongé lui confère l’allure d’un étrange lama. De même, le pingouin a eu pour descendant un animal de douze mètres de haut équipé de fanons, le Vortex (ci-dessous au milieu), tandis qu’un nouvel herbivore tropical, le Zarander (ci-dessous à droite), curieux croisement entre l’éléphant, le phacochère et l’okapi, a pour ancêtre… le cochon !
Partagée en grandes zones géographiques et climatiques, cette étonnante encyclopédie présente un lot de créatures bien inquiétantes, voire cauchemardesques, comme le Flower-Faced Potoo, le Night Stalker (ci-dessous à gauche), le Flooer , le Desert Shark (ci-dessous au milieu), le Valuphant, le Raboon ou encore le Horrane (ci-dessous à droite), animal qui paraît être issu du croisement d’un félin et d’un primate.
Cet ouvrage atypique, à la fois fascinant et déroutant, connaît dès sa sortie un engouement qui ne s’est jamais démenti au cours de ses rééditions successives. La qualité des dessins, réalisés par toute une équipe d’illustrateurs, contribuera pour beaucoup au succès grand public du livre. En 2018 sort une nouvelle édition, mise à jour et augmentée.
Un univers fantasmagorique
En 1988, DOUGAL DIXON récidive en changeant cette fois de perspective. Au lieu de partir du présent, il revient très loin en arrière en partant d’un postulat véritablement uchronique : et si la fameuse météorite ne s’était pas écrasée sur Terre il y a 65 millions d’années, avec pour effet de bouleverser le climat et de faire disparaître les trois-quarts des espèces végétales et animales, dont les fameux dinosaures ? Il se pose la question de savoir comment, sans cette catastrophe venue de l’espace, auraient évolué les créatures du mésozoïque ?
Pour y répondre, il écrit un ouvrage qui sera publié en 1988 sous le titre de The New dinosaurs, an alternative evolution (ci-dessous).
Cette fois, DIXON doit faire appel à son imagination pour extrapoler l’évolution des animaux, allant jusqu’à doter certains de ses soixante “spécimens” de plumes dont l’existence, à l’époque, n’avait pourtant pas encore été formellement établie.
Dans son livre, nous retrouvons un très étonnant bestiaire comprenant le Cribrum, à l’allure de flamant rose, le Gourmand, croisement d’un tyrannosaure et d’un crocodile géant, le Monocorn (ci-dessous à gauche), proche à la fois du bison et du rhinocéros, le massif et insolite Balaclav (ci-dessous au milieu), le Taddey, le Wyrm ou encore le Wandle et le Cutlasstooth (ci-dessous à droite).
C’est à l’être humain, le grand absent de ses deux premiers livres, que DIXON consacre son troisième titre : Man after Man. Cet ouvrage, préfacé par l’écrivain Brian ALDISS, est publié en 1990 (ci-dessous).
Cette fois le parti pris de départ est très différent, puisque le livre est constitué d’une série de récits qui mettent ses « créatures » en scène. Mais, et c’est ce qui frappe avant tout dans ce livre, la démarche et le propos sont beaucoup moins scientifiques que dans ses ouvrages précédents, au point de pouvoir considérer Man after Man comme un ouvrage de pure science-fiction ; ce qui lui sera vivement reproché par une partie de la critique.
Dans ce livre, l’auteur démarre son étude au XXIIIe siècle pour se lancer dans une étude qui le conduit à 5 millions d’années dans le futur. L’humanité, confrontée aux bouleversements de son environnement et à l’épuisement des ressources naturelles, recourt à des manipulations génétiques à grande échelle, afin d’”améliorer” ses capacités et créer de véritables races serviles adaptées aux différents milieux naturels dont les conditions climatiques sont devenues plus extrêmes. Ainsi en est-il de l’Aquamorphe (en bas à gauche), doté de branchies et d’un corps qui ressemble à celui d’une combinaison de plongée, et du Vacuumorphe (ci-dessous à droite), conçu pour vivre dans l’espace.
Après la migration d’une partie de la population vers d’autres planètes, la civilisation sur Terre finit par disparaître pour de bon. Dès lors, l’humanité se lance résolument dans de nouvelles manipulations afin de créer d’autres races humaines, intellectuellement peu développées mais conçues pour s’adapter aux différents environnements comme le désert, les terres polaires, la forêt et la steppe. Certaines illustrations du livre de DIXON, particulièrement insolites et fantasmagoriques, ne sont pas sans évoquer l’étrange Codex Seraphinianus.
Ci-dessous, nous vous proposons quelques exemples de la quarantaine d’espèces décrites, illustrées par le dessinateur Philip HOOD. De gauche à droite, les Slothmen (“Hommes-Paresseux”), eux-mêmes descendant du Tundra-Dweller ; le Plains-Dweller ; le Tic aux bras multiples.
Peu optimiste sur le devenir de l’espèce humaine, DIXON voit disparaître la technologie et l’humanité “originelle”, alors que les espèces fabriquées par l’homme poursuivent leur propre évolution et développent à l’occasion de bien étranges symbioses (ci-dessous).
Man after Man a clairement dérouté une partie du lectorat de DIXON, lequel reniera partiellement un livre qui ne correspondait pas à son projet initial. Admirateur d’H.-G. WELLS, il imagine dans son ouvrage que l’humanité a inventé une machine à voyager dans le temps et il se projette à 50 millions d’années dans le futur, pour se retrouver dans un univers totalement modifié par des humains qui ont déséquilibré puis ravagé leur écosystème. C’est cette même trame que DIXON reprendra plus tard dans Greenworld, livre où l’humanité découvre et colonise une exoplanète dotée d’un écosystème riche et très complexe. Il s’agit ici pour l’auteur de décrire, sur un millénaire, l’évolution de la flore et de la faune face à l’élément perturbateur que constitue l’arrivée d’”intrus” sur Terre. Sorti en 2010, cet ouvrage n’a pour l’instant été édité qu’au Japon.
Si la faune du futur est un sujet qui vous intéresse, nous ne saurions trop vous recommander le travail issu de la collaboration entre Marc BOULAY et Jean-Sébastien STEYER. Respectivement “paléoartiste et sculpteur numérique” et paléontologue au CNRS, ils ont publié en 2015 un ouvrage intitulé Demain, les animaux du futur, qui nous présente les animaux qui pourraient peupler notre planète dans 10 millions d’années, dans l’hypothèse où l’homme aurait disparu entretemps.
Ci-dessous, une petite vidéo qui présente en images le bestiaire fantastique imaginé par DIXON.