Liège : un trésor dans le trésor
Dans le trésor conservé dans les réserves de la cathédrale de la ville de Liège, se trouve une série de 19 livres rassemblant une importante collection de gravures collées sur des pages et commentées (ci-dessous un aperçu des manuscrits).
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Loin de se résumer à une lubie de collectionneur, cet imposant travail méthodique, organisé en volumes thématiques, s’inscrivait dans une démarche véritablement encyclopédique. Finalement, ce sont de 20 à 25 000 gravures, datant des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, qui se sont trouvées réunies dans un ensemble qui a compté jusqu’à 32 gros ouvrages.
Un moine collectionneur
L’artisan-encyclopédiste à l’origine de cette collection est un moine de l’abbaye cistercienne de Val-Dieu, située à l’extrême nord de la province de Liège, près des frontières néerlandaise et allemande. Issu de la bourgeoisie liégeoise aisée, Laurent SERVAIS DURIAU devient moine en 1722 dans la communauté du Val-Dieu, au sein de laquelle il passera le reste de son existence. Sous la direction de Jean DUBOIS, cette abbaye connaît alors un renouveau spectaculaire, aussi bien dans le domaine matériel que spirituel. L’esprit des Lumières est alors bien accueilli dans la principauté de Liège, et notre moine a donc sans doute bénéficié du soutien et de l’aide de sa hiérarchie pour mener l’œuvre à son terme. En 1752, il devient sous-prieur, c’est-à-dire l’équivalent d’adjoint du père abbé, titre qu’il conservera jusqu’à sa mort le 15 juillet 1775.
La première mention connue de ce travail encyclopédique est due à François DE FELLER, qui visite l’abbaye en 1774 : “On voit dans la bibliothèque, qui est d’ailleurs fort peu considérable, 32 volumes d’estampes très curieuses en tous genres, rassemblées avec des soins et des recherches infinis par un moine du monastère. Plusieurs peuvent servir à éclaircir des faits historiques, à conserver la mémoire de quelques hommes distingués, à apprécier des artistes peu connus. Le mérite de cette collection augmentera à mesure qu’elle acquerra celui de l’ancienneté.”
Accessibles aux moines, les volumes conservés dans la bibliothèque de l’abbaye restent épargnés jusqu’à la suppression des communautés religieuses, en 1796. Devant les risques de confiscation, ils sont cachés dans un moulin jusqu’à ce que l’ancien abbé acquière l’établissement religieux à titre privé. À sa mort, la collection est dispersée par sa famille, mais grâce à l’action du chanoine Nicolas HENROTTE, érudit et bibliophile, elle finit par être en partie reconstituée, et conservée un temps au séminaire de Liège. Après le décès d’HENROTTE en 1897, 29 volumes regagnent l’abbaye, entretemps réinvestie par une communauté religieuse.
Malgré ce retour aux sources, c’est à ce moment que la “collection Duriau”, qui a déjà été éprouvée par une histoire agitée, se voit définitivement amputée de plusieurs albums, certaines pages et gravures se trouvant en outre détachées de leur support. Du fait de ventes, d’appropriations, de vols ou de négligence pure et simple, ce ne sont plus que 19 livres, dont certains incomplets et l’un d’entre eux très mutilé, qui sont transférés en 2001, date du départ des trois derniers moines du Val-Dieu, dans le trésor de la cathédrale de Liège. Sept autres volumes font désormais partie de collections privées, et cinq sont considérés comme perdus.
Une encyclopédie en voie de reconstitution
Grâce au mécénat de la Fondation Roi Baudoin, les manuscrits font alors l’objet d’une soigneuse restauration et se voient dotés de nouvelles reliures. Désormais préservée, l’encyclopédie de SERVAIS DURIAU, source de renseignements et précieux témoignage de son temps, est depuis étudiée et analysée en détail. Imprimées en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, les 12 349 gravures conservées à Liège ne portent aucune mention de date, de lieu, d’auteur et d’origine. Celles-ci répondent avant tout à une fonction illustrative et documentaire, leur aspect artistique n’étant pas pris en compte dans les analyses qui les accompagnent. La plupart du temps, les commentaires et les annotations ne sont pas le reflet de l’opinion personnelle du compilateur, qui se contente de réaliser la synthèse d’extraits tirés de divers ouvrages.
La liste des matières nous est connue par une description datant de 1865. Si bien sûr la religion et l’histoire du christianisme, des deux Testaments aux hérésies, aux biographies des papes, en passant par les ordres religieux, les évêques et les archevêques, y occupent une place prédominante, SERVAIS DURIAU s’est également penché sur d’autres sujets très variés : l’histoire, la géographie, les arts, les lettres, l’héraldique, la botanique et l’histoire naturelle. Manifestement passionné de géographie, il a constitué de véritables dossiers sur les pays, les villes et les habitants des différents pays d’Europe, mais également de Turquie, d’Afrique du Nord, d’Asie et d’Amérique.
Notre collectionneur-encyclopédiste témoigne également d’une prédilection pour les biographies. Qu’il s’agisse d’empereurs romains, de saints, d’artistes peintres, de souverains, de chanoines, de comédiens, ou encore d’écrivains, d’administrateurs ou de diplomates, tous les personnages font l’objet de longues notices biographiques détaillées.
La découverte récente de 80 gravures supplémentaires a replacé sous les projecteurs de l’actualité cette curieuse série d’albums (voir ci-dessous le reportage de la RTC consacré à ce sujet). Elles étaient conservées au milieu d’autres illustrations et estampes faisant partie du fonds rapatrié du Val-Dieu, qui est toujours en cours d’inventaire depuis une quinzaine d’années. Philippe GEORGE, le conservateur du trésor de la cathédrale de Liège, espère que cette trouvaille permettra à terme de constituer un vingtième recueil. Il en profite également pour appeler au mécénat, afin de pouvoir rassembler et acquérir des éléments dispersés dans d’autres collections.
Pour connaître en détail l’histoire de cette encyclopédie “maison”, il est possible de se référer à cet article de 2005 de Jean-Louis POSTULA : Un moine collectionneur de gravures à l’abbaye du Val-Dieu, SERVAIS DURIAU.