La fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts
Située à 85 km au nord-ouest de Paris, dans le département de l’Aisne, la ville de Villers-Cotterêts entretient un rapport particulier avec la langue française. En effet, cette ville picarde est le lieu de naissance d’Alexandre DUMAS père, un des écrivains français les plus connus et les plus lus dans le monde. Mais c’est surtout l’ordonnance promulguée en août 1539, à l’instigation de FRANCOIS Ier, un habitué de cette contrée riche en forêts giboyeuses, qui rendra cette cité célèbre dans le monde francophone. À cette date, le français de la région de Paris, langue royale déjà prisée des élites et des lettrés, bénéficiait dans les faits d’un statut privilégié au même titre que le latin, qui demeurait la langue de la science, de la religion et des relations internationales. Pourtant, au quotidien, en dehors de l’Île-de-France, la très grande majorité de la population du royaume utilisait des patois ou d’autres langues que le français.
L’ordonnance précitée, considérée comme un jalon majeur de l’histoire de la langue française, est un texte qui ne comporte pas moins de 192 articles traitant essentiellement de l’organisation de la justice. Ce sont deux seuls articles de cette ordonnance qui généreront une révolution linguistique dans le royaume de France. En effet, l’article 110 stipule “que les arrêts soient clairs et compréhensibles, et afin qu’il n’y ait pas de raison de douter sur le sens de ces arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il ne puisse y avoir aucune ambiguïté ou incertitude, ni de raison d’en demander une explication”, tandis que le 111 impose “de prononcer et rédiger tous les actes en langue française. Et parce que de telles choses sont arrivées très souvent, à propos de la mauvaise compréhension des mots latins utilisés dans lesdits arrêts, nous voulons que dorénavant tous les arrêts ainsi que toutes autres procédures, que ce soit de nos Cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, ou que ce soit sur les registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments et tous les autres actes et exploits de justice qui en dépendent, soient prononcés, publiés et notifiés aux parties en langue maternelle française, et pas autrement”.
Même si certains spécialistes soulignent que le terme “langue française maternelle” était quelque peu ambigu, le français “du roi” devient la langue de l’administration et de la justice et, ipso facto, la langue officielle du royaume. Dans les faits, il faudra pourtant plusieurs siècles – en 1794, dans son rapport l’abbé GRÉGOIRE fera le constat que seul un citoyen sur cinq a une connaissance active et passive de la “langue nationale” – pour que le français s’impose définitivement.
Les vicissitudes du château
Résidence royale passée aux Orléans, le château de Villers-Cotterêts est saisi à la Révolution comme bien national et transformé en dépôt de mendicité, c’est-à-dire en lieu d’enfermement pour les indigents et les mendiants du département de la Seine. Par la suite, le bâtiment sera défiguré par des travaux d’aménagement peu respectueux du caractère historique et patrimonial du château. Une maison de retraite s’y installe en 1889, puis le bâtiment devient hôpital militaire pendant la Grande Guerre avant d’être désaffecté en 2014. À cette date, édiles, associations et bénévoles interviennent pour que cet imposant château devenu vétuste soit restauré et retrouve un usage qui lui permette de retrouver son lustre d’antan. À signaler qu’en octobre 2001 deux associations menées par Albert SALON, l’Avenir de la Langue Française (ALF) et le Forum Francophone International (FFI), lancent solennellement un appel de balcon de l’ancienne résidence royale pour inciter les pouvoirs publics à créer en ce lieu un Institut de la francophonie.
Vint Emmanuel MACRON…
En mars 2017, Emmanuel MACRON, de passage dans la ville, évoque la possibilité de “faire du château de Villers-Cotterêts l’un des piliers symboliques de la francophonie”. C’est le 16 septembre suivant, en tant que président de la République, qu’à l’occasion des Journées du Patrimoine il annonce que le bâtiment a pour vocation de devenir “le château de la francophonie” ; mission qu’il confirme le 20 mars suivant dans un discours prononcé à L’Institut, où il parle cette fois d’un futur “laboratoire“. La restauration du lieu – dont le coût est alors estimé entre 100 et 200 millions d’euros – est confiée au Centre des monuments nationaux, auquel est assignée la mission de mettre en place “un lieu de débats, de recherches, de pédagogie, de découverte, de création, d’écriture, de spectacle” tourné vers la valorisation de la langue française.
Les travaux débutent au cours du troisième trimestre 2019, avec une dotation de l’Ėtat de 110 millions d’euros. Le chantier, qui mobilise au total près de 600 compagnons et ouvriers et plus de 200 entreprises, avance assez rapidement, permettant la rénovation des 23 000 m2 de planchers et des 3600 m2 de toiture, mais la crise du Covid de 2020 va couper net cet élan. La fin des travaux, prévue initialement en mars 2022, se voit repoussée sine die. Annoncée un peu prématurément pour juin 2023, puis refixée au 19 octobre suivant mais à nouveau reportée du fait des obsèques d’un enseignant assassiné à Arras, l’inauguration de la Cité internationale de la francophonie se déroule finalement le 30 octobre 2023, en présence du président MACRON (voir le reportage ci-dessous).
Pour la ministre de la Culture, “ce projet réunit la force de la langue française et la reconnaissance de sa diversité”. De son côté, Paul RONDIN, le directeur d’une nouvelle institution qu’il veut ouverte et interactive, assure que “l’on n’est pas ici pour conserver la langue française mais pour la faire vivre, révéler sa diversité extraordinaire”. Quinze salles proposent un parcours permanent autour du français, articulé en trois séquences : “la dispersion du français dans le monde“, “la réalité de son fonctionnement” et “la dimension politique du français”. Il est prévu que le bâtiment accueille par la suite des conférences, des ateliers et des expositions temporaires. RONDIN définit la mission de l’établissement en ces termes : “Nous ne faisons pas la leçon aux gens ici. Nous ne conservons pas la langue. Nous ne la protégeons pas. Elle n’a pas besoin de nous, la langue française va très bien. Par contre, on doit renouer avec l’idée de plaisir. C’est pour cela que je parle d’un manège de la langue… On s’amuse.” Et d’ajouter : “L’immersif, aujourd’hui, fait partie de nos vies et on en trouve ici aussi. Sauf que le sujet est de redécouvrir sa langue française ou ses langues françaises.”
Centre névralgique et emblème de ce nouveau lieu – présenté comme “un projet culturel unique au monde” -, la cour du Jeu de paume propose un “ciel lexical” mettant en avant la richesse mais aussi le caractère pluriel et bigarré du français.
Naissance de la polémique
Mais, si tout le monde s’accorde à saluer l’ambition affichée de promouvoir la langue française et d’en assurer le rayonnement international, les voix discordantes et polémiques n’attendront pas le jour de l’inauguration pour se manifester. Sceptiques quant aux éventuelles retombées en termes d’emploi et de tourisme sur un territoire marqué par la désindustrialisation, certains fustigent le coût du projet – plus de 210 millions d’euros au total – et brocardent une réalisation qui, à leurs yeux, relèverait d’un “caprice présidentiel“. Les critiques les plus virulentes portant sur l’utilité même de ce nouvel équipement culturel remettent en cause la sincérité de son initiateur et qualifient l’entreprise de simple exercice de communication au profit du Président.
Alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que l’Académie française apporte son adhésion et son soutien au projet, plusieurs de ses membres vont clairement signifier leur désapprobation aussi bien sur le fond que sur la forme. Il est vrai que, depuis 2017, l’institution n’a guère été consultée ni impliquée dans un projet qui entre dans son champ de compétences. Il en résulte une certaine rancœur de la part d’une majorité d’académiciens, qui refusent de se rendre à la cérémonie d’inauguration. La fronde trouve en Jean-Marie ROUART un porte-parole très remonté contre ce qu’il appelle “le joujou présidentiel”. Il ne prend guère de pincettes pour exprimer son opinion. C’est ainsi que, huit jours avant l’inauguration, il déclare dans la presse : “S’il est un domaine dans lequel il [MACRON] est loin de briller, c’est dans la défense de la langue française. Il faut chercher loin dans l’histoire de France pour trouver un responsable politique qui lui aura autant nui… Belle initiative, digne de Tartuffe, de mettre la langue française dans un musée pour ne pas avoir à se préoccuper de sa lente destruction à laquelle on a soi-même participé.” Le goût prononcé du Président pour l’anglais et les anglicismes est sévèrement pointé du doigt, tandis que d’autres voix, comme celle de SALON, s’élèvent pour dénoncer le manque de zèle déployé par le gouvernement pour défendre l’usage international du français, en recul constant dans les domaines diplomatique, économique et culturel.
D’autres critiques portent sur la fonction même de l’espace francophone du château de Villers-Cotterêts. Pour ROUART, la structure veut entériner “l’internationalisation” du français – “langue-monde” – en “dépossédant” ainsi son berceau originel. Très en verve, l’académicien écrit : “La grande idée du règne en matière de français, c’est le plurilinguisme. Derrière ce vocable pompeux qui dissimule une véritable abdication au nom du relativisme, il y a la volonté de ne plus affirmer la priorité du français. On considère que la véritable langue française se fait hors de France et que, puisque cette langue a accueilli tout au long de son histoire des vocables étrangers, il faut non pas stopper la gangrène du franglais mais au contraire l’encourager […] Pourquoi sanctifier un symbole dans le même temps où l’on abandonne la langue française à une inéluctable détérioration qui la condamne à devenir une langue morte remplacée peu à peu par un sabir franco-anglais ?” Enfin, d’autres personnalités reprochent une “muséification” de la langue. Pour Dominique BONA, ce n’est pas une “bonne idée d’enfermer la langue française dans un musée, parce qu’elle est vivante partout ailleurs”.
Le Président lui-même répond à ses détracteurs dans son discours du 30 octobre : “J’entendais les voix qui s’élevaient pour dire « C’est bien le moment », d’autres pour dire « Ce n’est pas le bon projet, il ne fallait pas faire ceci, il ne fallait pas faire cela », « Projet de tartuffe », disaient quelques-uns. « La langue ne se met pas dans un musée » : ça tombe bien, c’est une cité, elle est ouverte. La langue a toujours été un objet de controverse, et qu’il y ait des débats passionnés sur la langue française est un signe de bonne santé. Peu de pays ont des débats aussi passionnés sur leur langue. Merci de le permettre.”
En attendant de voir si la Cité internationale de la francophonie va trouver son public et devenir une destination prisée des amoureux de la langue française, le château de Villers-Cotterêts va de nouveau se trouver sous les projecteurs au cours de l’automne 2024, en accueillant le XIXe sommet de la francophonie.
Merci beaucoup pour cette excellente synthèse de la question
“Belle initiative, digne de Tartuffe, de mettre la langue française dans un musée pour ne pas avoir à se préoccuper de sa lente destruction à laquelle on a soi-même participé.” Tout est dit!
Ce n’est pas tant l’anglais qui aujourd’hui menace la langue française. Bien qu’il en ai sa part. Le wokisme par l’abyssale imbécilité de l’écriture inclusive est le danger mortel s’il devait s’installer durablement. Les mots et les expressions venant de langues étrangères se transforment, finissent par se franciser et s’ajoutent au français. Le but du wokisme est de détruire la langue française en la déstructurant.
Aïe !
Il en aiT aussi de l’orthographe !