Les Français sont bien souvent sceptiques, parfois même cyniques et désabusés, sur le comportement de leurs élus, mais il est indéniable que le goût de la polémique politique est solidement ancré dans l’opinion publique de notre beau pays ! Ce trait de caractère se retrouve dans le plaisir bien français de distiller des “petites phrases” assassines qui, relayées par les médias, créent des mini-controverses souvent acharnées. Loin d’être policé et bienveillant, notre monde politique est un terrain particulièrement propice aux saillies qui font mouche, de l’insulte pure et simple à l’aphorisme vachard, de l’insinuation sournoise à la blague à double tranchant, sans négliger, au besoin, l’attaque frontale.
Dans le Petit dictionnaire des injures politiques, Bruno FULIGNI et son équipe de 19 contributeurs ont entrepris de mettre en exergue cette forme particulière d’insulte : « Parce qu’elle interpelle la société, pour discréditer un individu ou un groupe prétendant à l’exercice du pouvoir, l’injure politique est par nature publique, c’est-à-dire formulée sur le forum et relayée par les mêmes canaux qui diffusent les délibérations ordinaires des élus. » La première édition est sortie en 2011 (ci-dessous à gauche), une deuxième actualisée et augmentée en 2016 (ci-dessous à droite), les deux étant, probablement par opportunité commerciale, publiées quelques mois avant les grandes échéances électorales.
Que ces attaques se présentent comme des coups de Jarnac ou des duels à fleurets mouchetés, qu’elles se rapportent à une activité publique ou qu’elles soient sorties du domaine privé pour s’étaler sur la place publique, la matière n’a cessé d’être inépuisable depuis la Révolution. Comme le résume FULIGNI : « En politique, les mots sont des armes. L’humour politique va rarement jusqu’à l’autodérision : il est mordant, cruel, impitoyable. » On ne peut qu’acquiescer à ces propos en lisant ce recueil dont le contenu est parfois affligeant quant à la qualité des propos rapportés, mais sans cesser d’être drôle et toujours instructif !
De ce recueil ressortent un certain nombre de véritables “professionnels” de la phrase assassine souvent teintée de mauvaise foi, réputés pour clouer au pilori leurs adversaires par des sentences impitoyables. Dans cette famille de “bons clients” des médias d’hier et d’aujourd’hui se retrouvent pêle-mêle CLEMENCEAU, DAUDET, DE GAULLE, JAURÈS, LE PEN, MAURIAC, MAURRAS, MÉLENCHON, MITTERRAND, PASQUA, PEYREFITTE, RIVAROL ou TALLEYRAND.
Morceaux choisis (liste non exhaustive et non partisane !) :
*Marie-France GARAUD : « Je croyais que CHIRAC était du marbre dont on fait les statues. En réalité, il est de la faïence dont on fait les bidets »
*Charles DE GAULLE, à propos de Valéry GISCARD d’ESTAING : « GISCARD est un traître par nature. Il n’en demeure pas moins indispensable. Allez le voir et persuadez-le de trahir dans le bon sens. »
* MARIE-ANTOINETTE : « Je vois bien que Monsieur de LAFAYETTE veut nous sauver, mais qui nous sauvera de Monsieur de LAFAYETTE ? »
*Laurent FABIUS : « Parler de social à Nicolas SARKOZY, c’est comme parler cinéma à une caméra de surveillance. »
*Lionel STOLÉRU, à propos de Marcel DASSAULT : « Il sera candidat à l’Assemblée nationale jusqu’à sa mort. Après, il se présentera au Sénat. »
* François FILLON, sur Emmanuel MACRON : « Avant de juger ses propositions, je vais attendre qu’elles soient abandonnées. »
*François MITTERRAND, sur DE GAULLE : « On savait déjà avant lui que le pire malheur de la patrie sert autant l’ambition du héros que les desseins du traître. »
*Marine LE PEN, s’adressant à Jean-Luc MÉLENCHON : « Vous êtes un peu la Yvette HORNER de la politique, tous les combats que vous menez ont trente ans de retard. »
*MÉLENCHON, à propos de Marine LE PEN : « Une semi-démente qui propose des solutions auxquelles personne ne peut croire. »
*Guy MOLLET : « MITTERRAND n’est pas socialiste, il a appris à le parler. »
*Guillaume BACHELAY : « La présidentielle, HOLLANDE y pense en nous rasant. »
*Alphonse de CHATEAUBRIAND, évoquant NAPOLÉON : « Son grand plaisir était de déshonorer la vertu, de souiller les réputations : il ne vous touchait que pour vous flétrir. »
*Ségolène ROYAL, à propos de François BAYROU : « Il m’a fait l’impression de l’amant qui craint la panne. »
*Stéphane GUILLON, sur François FILLON : « Quand il entrera au musée Grévin, on aura l’impression qu’il est au travail. »
Au passage nous pouvons constater qu’avant la seconde guerre mondiale l’injure politique ne reculait pas devant une bassesse et une violence qui, encore aujourd’hui, ne manquent pas de nous étonner ! Pour preuve que l’attaque ne se traduit pas toujours par des mots d’esprit et des formules élégantes, voici quelques exemples où la méchanceté le dispute à la haine pure et simple (nous avons épargné à nos lecteurs les comparaisons zoologiques et scatologiques, ainsi que les diatribes racistes).
CLEMENCEAU, après la mort (en galante compagnie) de Félix FAURE : « Félix FAURE vient de mourir. Cela ne fait pas un homme de moins en France. »
Xavier VALLAT, sur Léon BLUM : « Blum ! Le bruit que font douze balles françaises entrant dans la peau d’un traître. »
Pierre BIÉTRY : « Nous clouerons la charogne vivante de JAURÈS contre une porte. »
RIVAROL, sur MIRABEAU : « L’argent ne lui coûte que des crimes, et les crimes ne lui coûtent rien. »
Nous attendons de voir si une nouvelle édition verra le jour en 2021. Nous pouvons craindre que, la judiciarisation prenant le pas sur le duel rhétorique ou le mépris, la matière risque de devenir moins abondante et surtout moins polémique que par le passé.
Ici une émission d’Europe 1 datée de 2011, et traitant de ce sujet, avec pour invités Olivier PICARD et Bruno FULIGNI. Si vous voulez vous documenter sur la matière, nous pouvons vous conseiller un essai historique, Noms d’oiseaux. L’insulte en politique, de la Restauration à nos jours, publié en 2010 par Thomas Bouchet.
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