Si nous étions ingénument tentés de penser que le talent, le style, la hauteur de vue et les pensées profondes mettent une personnalité à l’abri de la basse colère, de la mesquinerie et de la méchanceté, nous déchanterions à la lecture du Dictionnaire des injures littéraires (ci-dessous). Cet épais recueil, réalisé par Pierre CHALMIN (qui figure lui-même dans son propre dictionnaire comme cible et auteur d’injures), offre un panorama à la fois réjouissant et désespérant des turpitudes et des querelles du monde culturel.
Qu’ils soient écrivains, philosophes, artistes ou savants, de brillants intellectuels s’illustrent par des haines féroces, des jalousies implacables et des antipathies tenaces. Possédant l’art de manier les mots, ils mettent souvent leur talent au service de la formule assassine, du règlement de comptes littéraire ou de la critique vacharde. Encore plus caustique que l’insulte politique sur laquelle nous nous sommes précédemment penchés, l’injure littéraire est un art qui confine souvent à un véritable jeu de massacre. CHALMIN va jusqu’à parler d’un “moyen d’extermination d’un rival”. Pour le choix de ses cibles il se fonde sur trois critères : la notoriété de l’injurié, la qualité de celui qui injurie et la tournure “humoristique, outrancière ou d’une absolue mauvaise foi” de l’injure.
Certaines citations s’apparentent à des invectives triviales, ainsi le fameux : « BUKOWSKI, ta gueule ! Je vais te foutre mon poing sur la gueule », lancé par François CAVANNA sur un plateau de télévision, ou la délicate apostrophe de CÉLINE à l’attention de SARTRE : « Satanée petite saloperie gavée de merde, tu me sors de l’entre-fesses pour me salir au-dehors ! » D’autres ressemblent plus à des jugements peu affables qu’à des injures, comme lorsque Virginia WOLFF déclare : « Je suis très frappée par l’extrême médiocrité de la poésie de BYRON. » Mais la majorité d’entre elles sont plus recherchées voire même raffinées et cruelles, et de ce fait d’autant plus ravageuses envers leurs cibles. En voici quelques exemples :
*Jules RENARD : « MALLARMÉ, intraduisible, même en français. »
*VOLTAIRE : « L’autre jour au fond d’un vallon | un serpent piqua Jean FRÉRON. | Que pensez-vous qu’il arriva ? | Ce fut le serpent qui creva. »
*Gustave FLAUBERT : « Le difficile avec George SAND, c’est qu’on ne sait prendre cet auteur au sérieux. Comme femme, elle inspire le dégoût, comme homme, il donne envie de rire. »
*BARBEY d’AUREVILLY : « DIDEROT, ce derviche tourneur, qui tourne dans tous les sens, pour revenir sur lui-même. »
*Pierre JOURDE : « ANGOT, c’est du vrac, du tas. Du tas de quoi ? On ne sait pas trop, conversations téléphoniques sans fin et sans sujet, détails dépourvus de sens, confidences sexuelles, etc. C’est un peu l’esthétique du Loft. »
*FAULKNER, sur HEMINGWAY : « Il n’a jamais été réputé pour avoir écrit un seul mot qui puisse exiger du lecteur la consultation d’un dictionnaire. »
*TOLSTOÏ : « DESCARTES récuse tout avec force, avec vérité, et il reconstruit arbitrairement, en rêveur. »
*Victor HUGO, à propos d’Émile ZOLA : « Tant qu’il n’aura pas dépeint complètement un pot de chambre plein, il n’aura rien fait. »
*François MAURIAC, sur Marcel PROUST : « Comme ces médecins qui s’inoculent un virus pour l’analyser, il semble s’être inoculé le snobisme afin de mieux pouvoir le décrire. »
*Salvador DALI, sur ARAGON : « Tant et tant d’arrivisme pour arriver si peu ! »
*Thomas BERNHARD : « HEIDEGGER est un camelot philosophique, qui n’a apporté sur le marché que des articles volés. Tout chez HEIDEGGER est de seconde main. Il était, et il est le prototype du penseur à la traîne, à qui tout, mais alors vraiment tout, a manqué pour penser par lui-même. »
*Théophile GAUTIER : « Alfred de MUSSET est le poète de la vingtième année. Sa muse n’a connu que le printemps et à peine le commencement de l’été. L’automne ni l’hiver ne sont venus pour elle. »
Dans cette « boîte à gifles des écrivains », pour reprendre une jolie formule utilisée par un critique de l’Obs, retenons que l’auteur ne s’est pas cantonné au monde purement “littéraire” puisque nous y trouvons beaucoup de personnages historiques et de personnalités politiques, peu réputés pour leurs talents d’écriture, comme STALINE, LANDRU, LOUIS XIV ou encore FRANCO.
Pour aller plus loin sur le sujet des insultes littéraires, nous vous renvoyons vers deux livres (ci-dessous) : Une histoire des haines d’écrivains, par Anne BOQUEL et Étienne KERN, et l’Art de l’insulte, par Elsa DELACHAIR.