Parmi les bizarreries et les chausse-trappes qui pimentent l’apprentissage d’une langue, il est un domaine particulièrement dangereux pour un novice, celui des homonymes. De prononciation et/ou d’écriture identique, mais de sens différent, l’homonyme est un véritable piège qui engendre inévitablement des quiproquos parfois malheureux mais le plus souvent comiques. Les linguistes, les pédagogues et les psychologues se sont bien évidemment intéressés à ces mots qui, nécessitant une petite gymnastique mentale, contribuent à leur manière à structurer le langage et la pensée.
Dans cet article nous nous intéresserons aux homonymes lexicaux en écartant les noms de familles de prononciation identique.
Les homonymes se décomposent en deux catégories principales. La plus importante regroupe les homophones c’est-à-dire ceux qui se prononçant de la même manière s’écrivent différemment. Porc, Port, Pore, ou Reine, Renne, Rêne, Rennes, partagent la même phonétique mais la confusion entre eux ne subsiste pas à l’écrit. Les cas d’homophonie sont encore plus nombreux lorsque sont pris en compte les conjugaisons, les participes présents et passés, les adjectifs, et même les toponymes. Ainsi Allé (du verbe Aller), a la même prononciation qu’Allée et Haler.
Quelques exemples d’homonymie homophone :
– Oh, Ô, Haut, Os (au pluriel)
– Ver, Verre, Vert, Vers (direction), Vair
–Seau, Sot, Sceau, Saut
–Air, Ère, Hère, Aire
Certains ont encore en mémoire cette comptine enfantine souvent utilisée pour illustrer les homonymes:
“Il était une fois
Dans la ville de Foix
Une marchande de foie
Qui vendait du foie
Elle se dit : Ma foi
C’est la première fois
Et la dernière fois
Que je vends du foie
Dans la ville de Foix” .
A l’inverse, la seconde famille d’homonymes, celle des homographes réunit des mots qui, partageant la même orthographe, ont un sens différent. Lorsqu’ils sont également de même prononciation, et donc homophones, il devient impossible de les différencier sans se référer au contexte et au sens de la phrase. Les mots Avocat, Aimant, Mousse, Mode, Dame font partie de cette catégorie. Parmi les homographes, ceux dont l’orthographe est identique mais la prononciation différente sont qualifiés d’hétéronymes. Ces derniers sont illustrés par des exemples tels que :“Les poules du couvent couvent”, “Il convient qu’ils convient leurs amis”, ou “Ils négligent leur devoir ; moi, je suis moins négligent”. En plus d’inspirer poètes, chanteurs, et comiques, cette curieuse et amusante famille lexicale a également fait l’objet de dictionnaires réalisés dans le but de recenser les homonymes et de les traiter d’un point de vue scientifique et linguistique.
En France, les homonymes qui, dans un premier temps, relevaient plutôt de la curiosité langagière, se sont peu à peu imposé comme un sujet à part entière. C’est ainsi qu’un Dictionnaire des mots homonymes de la langue françoise (ci-dessous) est publié en 1775 par Pierre-Thomas-Nicolas HURTAUT. À prime abord il peut paraître surprenant de retrouver dans ce registre un professeur de latin de l’École militaire déjà passé à la postérité pour son parodique Art de péter ! Dans son ouvrage, HURTAUT regroupe les mots de même sonorité. Fa se retrouve associé à Fat, tandis que Raie voisine avec Rets et l’île de Ré. Linguiste sourcilleux, il prend soin d’indiquer les nuances d’accentuation et d’intonation sur certaines lettres. Les termes sont définis sommairement et illustrés par des citations, souvent latines. Poussant la logique jusqu’au bout, l’auteur consacre à chaque sens d’un même mot un petit article, comme c’est le cas pour État, Provision, ou encore Recette.
Le thème des homonymes semble en tout cas s’avérer suffisamment porteur d’un point de vue éditorial pour qu’en 1805 un dénommé DELION-BARUFFA écrive dans la préface de son Nouveau dictionnaire des mots homonymes de la langue française : “L’empressement avec lequel le public a reçu jusqu’à présent les nombreuses éditions des dictionnaires de mots homonymes de notre langue plaide en faveur de leur mérite et de leur utilité”. Revenant sur son propre livre, l’auteur avance d’ailleurs cet imparable argument commercial ; “Il contient environ quatre mille articles de plus que ceux qui ont paru à ce jour”. Mais il faut bien reconnaître que son contenu présenté sous forme de listes apparait bien austère et peu développé.
Les homonymes constituant une difficulté majeure pour l’apprentissage d’une langue, il n’est guère étonnant de retrouver un dictionnaire plurilingue consacré au sujet, l’Essai d’un dictionnaire des homonymes de la langue française (ci-dessous), dans lequel les mots sont traduits en allemand, en anglais et en russe. Ce livre est publié en 1862 par ZLATAGORSKOI, en fait le pseudonyme d’un certain E. GOLDBERG dont le nom de famille a été « russifié ».
Si par la suite, les homonymes seront souvent traités dans les mêmes ouvrages que les synonymes et les difficultés du français, des dictionnaires thématiques spécifiquement dédiés au sujet verront de nouveau le jour au XXe siècle avec le développement de la science linguistique moderne. C’est la cas du Dictionnaire des homonymes daté de 1986 de Jean CAMION qui, en se basant sur la forme écrite, la prononciation et la signification, affinera la classification des homonymes en sous-catégories aux noms un peu ésotériques (homographes homophones polysèmes, homographes hétérophones monosèmes, hétérographes hétérophones monosèmes, homographes hétérophones polysèmes, hétérographes homophones monosèmes, etc.).
Depuis plusieurs années, les éditions Larousse éditent régulièrement un Dictionnaire des homonymes, dont la dernière version datée de 2014 répertorie 9000 mots.
Dans le monde anglo-saxon les homonymes et les homophones sont nombreux et particulièrement redoutés des étudiants et des touristes. Confondre Bear et Bare, Flea et Flee, Hair, Air et Hare, ou Wail et Whale, c’est être assuré en société anglophone de vivre un grand moment de solitude et de gêne. En 1966, l’universitaire Harold Crandall WHITFORD, déjà coauteur d’un réputé Handbook of American idioms and idiomatic usage, publie un ouvrage de référence sur le sujet (ci-dessous à gauche). Ce livre assez court contient 800 homophones, 220 homographes et propose même des exercices pratiques. En 1986, James B. HOBBS sort son Homophones & homographs, an american dictionary (ci-dessous au milieu). Réédité à plusieurs reprises, cet ouvrage présente plus de 9000 homophones et 2100 homographes. Dans les années 1990, le concept d’homophones sera également popularisé par les livres de Leslie PRESSON (ci-dessous à droite).
Pour ne pas se cantonner aux mondes francophone et anglophone, signalons que les homonymes, et plus particulièrement les homophones,existent dans la plupart des langues, comme en témoigne ce petit panel :
Il nous reste quand même à évoquer une dernière famille de l’homonymie, celle des faux-amis qui sont en fait homophones et homographes dans des langues différentes. Bride n’a pas le même sens en français et en anglais, pas plus que Chair, Chat, Sale, ou Collège. Si pour un anglophone Bite et Pet sont des mots courants inoffensifs, il n’en va pas évidemment de même pour son interlocuteur francophone ! De même, utiliser à contresens, Pile, Affair, Pain ou Demand, risque de braquer votre ami anglophone. De même, si Gift signifie cadeau en anglais, il veut dire poison en allemand!
Pour conclure, on peut remarquer que l’homonymie reste un sujet d’actualité. Nous faisons tous au quotidien l’expérience de messages, de contributions internet, de tweets et autres SMS à l’orthographe et à la syntaxe défectueuses sans toujours relever qu’il s’agit d’homonymes et d’homophones mal utilisés tels que Quand et Qu’en, T’en et Tant ou Cil et S’il. Si vous voulez, selon votre humeur, vous affliger ou sourire de cette dérive, nous vous invitons à jeter un œil sur l’amusant site Bescherelle ta mère !
Terminons sur une touche humoristique en vous proposant de visionner un sketch de Raymond DEVOS qui jongle brillamment avec les homonymies.