A l’époque contemporaine, une figure de faussaire se détache clairement du lot de ses collègues, celle de l’américain Mark HOFMANN. Ses origines, sa personnalité trouble, l’implication d’autorités religieuses, son monstrueux culot et la conclusion tragique de cette affaire lui ont conféré, dans sa spécialité, une célébrité internationale.
Élevé en Utah dans la foi mormone, il n’hésite pas à s’attaquer, pour sa première grande falsification, à un texte sacré de son Église. Il prétend avoir découvert, dans une Bible du roi Jacques, un document manuscrit rédigé en égyptien réformé, l’écriture dans laquelle est censé être écrit le Livre de Mormon, traduit ensuite par Joseph SMITH, fondateur de l’Église des saints des derniers jours, c’est-à-dire des mormons.
Enchanté par cette découverte, de surcroît authentifiée par un expert, le département historique de l’Église mormone l’acquiert pour 25 000 dollars. Encouragé par ce succès, HOFMANN, installé comme libraire de livres anciens, continue à produire des documents “exceptionnels”, comme des autographes de personnages célèbres de l’histoire et de la littérature américaines. Persévérant à creuser le filon mormon, il fabrique plusieurs centaines de lettres attribuées à des figures importantes et historiques de ce culte. C’est ainsi qu’en 1981 il “exhume” une lettre de Joseph SMITH dans laquelle celui-ci confiait la direction de ses fidèles à son fils et non à Brigham YOUNG, comme la tradition semblait l’attester. Ayant perdu la foi de ses pères, HOFMANN tente par ce biais de semer le trouble chez les mormons et à en ridiculiser les institutions spirituelles. En 1984, il récidive avec la fameuse Lettre de la salamandre, dans laquelle Joseph SMITH, sa cible favorite, apparaît comme un magicien, un occultiste et un alchimiste cherchant à fabriquer de l’or, révélation qui suscite un énorme scandale dans la communauté. Plus tard, il confessera avoir délibérément cherché à saper les bases spirituelles et historiques de ses anciens coreligionnaires.
Le talent de faussaire d’HOFMANN est tel que la fraude n’est pas détectée par les experts. N’ayant pas été démasqué, il s’attaque à un document fondateur de l’histoire américaine, l’Oath of a Freeman. Rédigé en 1634 par des habitants de la colonie de Plymouth (Massachussetts), ce document, qui est un serment de loyauté des colons, a été imprimé en 1639 avec la première presse d’imprimerie installée en Amérique du Nord.
Aucun original n’avait été conservé de ce document historique et patrimonial, jusqu’à ce que notre escroc en propose un à la vente à la bibliothèque du Congrès. Cruellement en manque de fonds, notre audacieux arnaqueur ne réclame pas moins de 1,5 million de dollars. Mais la vente échoue, l’institution étant disposée à fixer le plafond à “seulement” 300 000 dollars. Il se tourne alors vers l’American Antiquarian Society qui, avant de conclure l’affaire, fait analyser le document. Alors que l’expertise est en cours, deux colis piégés tuent deux personnes à Salt Lake City, le 15 octobre 1985. Quelques heures plus tard, HOFMANN est blessé par une troisième bombe dans sa voiture, sans doute déclenchée accidentellement. De fait, sévèrement endetté, s’étant engagé à vendre des livres qu’il ne possédait pas, il semble qu’il ait voulu faire diversion tout en éliminant d’anciens clients. La police perquisitionne son domicile et découvre son atelier de fabrication. Ses ingénieuses méthodes de falsification sont ainsi mises au jour. Ayant plaidé coupable, il échappe à la peine de mort mais est condamné à la prison à vie.
Ses motivations réelles restent encore aujourd’hui assez obscures. S’il est incontestablement un faussaire génial et particulièrement retors, son recours à l’assassinat le range dans la catégorie criminelle des meurtriers de sang-froid. Ceux qui veulent connaître les détails de cette extravagante histoire peuvent consulter un article plus détaillé sur Bibliophile.com.
En 2002, l’écrivain et journaliste Simon WORRALL a consacré son livre The Poet and the murderer au cas HOFMANN dont il tente de percer la psyché particulièrement tortueuse. Ci-dessous, il revient sur son analyse au cours d’une interview (en anglais).
https://www.youtube.com/watch?v=s8pZONE0wCIPour nos lecteurs cinéphiles et amateurs de machinations criminelles, nous leur signalons le film du regretté Bernard RAPP, Tiré à part. Si ce long métrage, sorti en 1997, n’a pas marqué l’histoire du cinéma français, son intrigue reste intéressante car elle met en scène un faussaire qui utilise un livre falsifié comme arme du crime au service d’une vengeance.
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