Parlons de la pluie et du beau temps
L’observation du ciel et les pronostics météorologiques ont toujours constitué un inépuisable sujet de préoccupation pour l’humanité. Parler du temps qu’il fait ou qu’il va faire est un rite intimement intégré à notre vie quotidienne, dans la mesure où il permet aisément à tout un chacun d’amorcer ou d’alimenter une conversation. Le domaine de la météorologie ne pouvait pas échapper à la lexicographie, et c’est la raison pour laquelle nous nous intéresserons aujourd’hui aux ouvrages censés nous aider à interpréter les phénomènes célestes.
Même si le temps a toujours été au centre des préoccupations de l’être humain, et si les premières observations scientifiques remontent à l’Antiquité, force est de constater que la météorologie n’est devenue une véritable science que depuis la fin du XIXe siècle. Précédemment, l’observation du ciel et l’élaboration de pronostics reposaient sur une série de croyances constituée de dictons, de proverbes et de superstitions. Le plus souvent associée aux saints du calendrier, cette météorologie populaire, longtemps relayée dans les almanachs, était centrée sur la vie agricole, les semailles et les récoltes. Cette approche empirique se perpétue de nos jours avec des sentences du style : “En avril, ne te découvre pas d’un fil”, ” Crapaud qui chante en février a l’hiver derrière lui”, “S’il gèle à la Saint-Bernardin, adieu le vin”, “Sécheresse de janvier, richesse de fermier” ; ou encore “Beau temps à la Saint-Anicet est l’annonce d’un bel été”, “S’il pleut à la Saint-Médard, il pleut quarante jours plus tard”, et “Lorsqu’il pleut à la Saint-Donatien, c’est de la pluie pour le mois qui vient”.
En 1970, Jean-Philippe CHASSANY a publié un Dictionnaire de météorologie populaire (ci-dessous), recensant plusieurs centaines de ces adages.
À partir de la Renaissance, les progrès scientifiques et techniques vont permettre de développer un embryon de météorologie scientifique, sans pour autant en faire une science autonome. Les avancées dans ce domaine seront liées à l’apparition de nombreux instruments de mesure issus des travaux sur les mathématiques, la physique, la chimie, l’histoire naturelle, voire l’astronomie. Dès lors, la météorologie pourra commencer à se doter d’un corpus théorique standardisé.
Dès 1853 naîtra l’idée d’une collaboration internationale, qui permettra de recouper les observations météorologiques, mais aussi les données et les conclusions scientifiques qui en découlent. Ce projet prendra forme une vingtaine d’années plus tard avec la création, à Vienne, de l’Organisation météorologique internationale, dont l’une des missions principales consistera à unifier le vocabulaire et les nomenclatures utilisés.
La tête dans les nuages
Une de ses priorités va consister à établir une classification internationale des nuages. Certes, depuis 1802, c’est la classification en langue latine (cirrus, cumulus, etc.), établie par Luke HOWARD, qui fait autorité, mais il manque néanmoins une nomenclature unifiée qui pourrait devenir la référence utilisée dans le monde entier.
Une commission sur l’étude des nuages, composée de scientifiques de renom comme Hugo Hildebrand HILDEBRANDSSON, Albert RIGGENBACH, Julius von HANN et Léon TEISSERENC de BORT, est alors constituée. Elle travaillera de longues années à l’élaboration d’une véritable encyclopédie illustrée des nuages. Bien qu’il ne fasse pas partie de l’aventure, Ralph ABERCROMBY, qui avait déjà amélioré le système d’HOWARD, exerce une influence déterminante sur les membres du comité. En 1896, l’Atlas international des nuages est enfin publié, en trois langues : l’anglais, le français et l’allemand (ci-dessous les éditions française et anglaise).
L’Atlas partage les nuages en 10 genres, 26 espèces et 31 variétés. Mais la grande nouveauté qui contribuera à la célébrité de l’ouvrage est à rechercher dans la présence d’une abondante illustration. Celle-ci est une grande première, dans la mesure où elle est en grande partie composée de photographies en couleurs, non coloriées à la main comme cela se faisait précédemment. Nous vous proposons quelques exemples ci-dessous :
Cet ouvrage connaîtra un grand succès et est réédité en 1911, 1932 -cette version prit le titre d’Atlas international des nuages et des états du ciel et fut traduite en catalan à l’instigation de son mécène– et 1939. Après la seconde guerre mondiale, l’Organisation internationale de météorologie devient l’Organisation météorologique mondiale (OMM), une institution rattachée à l’ONU. La météorologie est devenue une discipline particulièrement stratégique et nécessite plus que jamais une collaboration internationale. Parmi les missions de cet organisme figure toujours la publication de l’Atlas international des nuages dont il est rappelé l’utilité majeure, car il est “conçu pour servir de document de référence normalisé dans le cadre de l’exploitation des systèmes d’observation opérationnels, lesquels sont à la base des prévisions météorologiques et des prévisions climatologiques à plus longue échéance. Il s’agit d’un important instrument de formation à l’intention des météorologistes ainsi que des personnes travaillant dans l’aéronautique et la marine”.
Une nouvelle édition est publiée en 1956 sous la forme de deux volumes : un manuel technique de normes et un volume contenant 220 planches de photographies de nuages et de certains météores. Chaque photographie est accompagnée d’une note explicative permettant de comprendre les illustrations sans avoir à recourir aux définitions et descriptions techniques du premier volume D’autres versions suivent en 1975 et 1987. Entretemps des traductions en polonais, en néerlandais, et en norvégien ont vu le jour.
En 2013 l’OMM (ou WMO pour la version anglophone) annonce préparer une nouvelle édition. A cette occasion est appel est même lancé pour faire parvenir à l’organisme des clichés de qualité. L’ouvrage en lui-même garde le plan adopté depuis 1975 : une définition du concept de météore et une classification générale des phénomènes météorologiques, une présentation des nuages, suivi d’une partie consacrées aux météores autres que les nuages comme les hydrométéores, les photométéores, les litho-météores et les électro-météores.
Cette édition qui voit finalement le jour au début de 2017 apporte toutefois plusieurs éléments nouveaux. Événement qui ne s’était pas produit depuis 60 ans, cette actualisation permet également d’intégrer de nouvelles variétés et particularités de nuages. Le Volutus, le flumen, cataractagenitus, le flammagenitus, le homogenitus, le silvagenitus, l’homomutatus surtout les Asperitas .dont le spectaculaire Undelatus asperatus , et autres termes aux sonorités poétiques viennent ainsi enrichir le lexique de la météorologie internationale. Un glossaire destiné à guider le grand public dans les termes techniques est également joint à l’ensemble.
Dernier point, et non le moindre, la publication, très enrichie par rapport aux versions précédentes, a lieu en simultané en version papier en ligne (ci-dessous, un petit film de présentation)
https://www.youtube.com/watch?v=QdMAgkuTc88
À propos de la météorologie générale, signalons encore, à côté d’une multitude de lexiques bilingues ou multilingues, le Dictionary of Weather, ouvrage de synthèse édité par les éditions Oxford (ci-dessous).
Son auteur, Storm DUNLOP (au passage, nous avons ici un bel exemple d’aptonyme !), regroupe 2 000 définitions qui se rapportent directement à la météorologie avec des emprunts à l’océanographie, à l’hydrologie, à la climatologie, à l’astronomie, à la géologie et au géomagnétisme. La seconde édition, qui date de 2008, demeure toujours l’ouvrage de référence sur le sujet.
Pour conclure notre “bulletin météo”, nous allons nous intéresser à un élément qui, selon les circonstances et les individus, peut être accueilli comme une bénédiction ou une calamité, sans cesser d’être vital pour notre écosystème : la pluie.
Des ouvrages nés de la dernière pluie
Écrit par PATRICK BOMAN et illustré par Romain SLOCOMBE, le Dictionnaire de la pluie sort pendant l’été 2008 aux éditions du Seuil (ci-dessous).
Dans une approche qui rappelle celle de la collection Dictionnaire amoureux publiée chez Plon, BOMAN propose un ouvrage à la fois subjectif, poétique et érudit qui entend réhabiliter averses, crachins et autres ondées, c’est-à-dire “cette pluie vitale qui arrose les champs, nourricière, bien qu’il s’agisse d’un cliché, d’une vérité oubliée, tant la religion du loisir ensoleillé, cette pitoyable héliolâtrie, est devenue totalitaire, cette pluie irrigue également notre imagination”.
Si l’auteur, par ailleurs grand voyageur, ne recule pas devant des explications techniques et scientifiques, c’est bien la dimension spirituelle et culturelle de la pluie qu’il entend présenter dans tous ses aspects, puisant ses exemples dans tous les lieux et à toutes les époques. On y trouve aussi bien des mythes, des œuvres littéraires, des traditions folkloriques, de l’ethnologie, du droit, de l’histoire, que des proverbes, des dictons et des comptines, comme par exemple cette ritournelle wallonne : “Il ploû / Lè beguène sont fou / Lè curè sont resserés” (Il pleut / Les religieuses sont sorties / Les curés sont enfermés), ou ce très pessimiste adage breton : “Glav da sul / Glav da lun /Ha glave e-pad ar sizhun (Pluie le dimanche / Pluie le lundi / Et pluie toute la semaine).
De MUSSET à BARBARA, de NOUGARO à ZOLA et VIRGILE, il évoque la manière dont la pluie constitue un thème littéraire depuis l’aube des temps. Enfin, il en explore également la dimension anthropologique, par le biais de traditions et de coutumes pratiquées de par le monde. Petit exemple : “En Nouvelle-Poméranie, lorsqu’il pleut trop, les Sulka, pour faire cesser la pluie, mettent des pierres sur le feu, en prononçant certains mots ; quand elles sont chaudes, on les porte dehors, toujours en prononçant des formules. Les gouttes de pluie, en tombant sur ces pierres, se brûlent, et alors la pluie cesse.”
Comme peuvent le constater nos lecteurs, le grand absent de notre billet est le soleil ! Nous réparerons cet oubli dès que nous trouverons un dictionnaire qui lui sera intégralement consacré.