Herbert George WELLS est passé à la postérité pour avoir été l’un des pères de la science-fiction moderne. Il demeure mondialement connu du grand public pour ses célèbres romans novateurs tels La guerre des mondes, L’île du docteur Moreau, La machine à explorer le temps ou L’homme invisible.
Passionné par les sciences, domaine dans lequel il puisera le matériau de ses “romans scientifiques” (scientific romances), WELLS est également attentif à la question de la transmission du savoir, et il ambitionne de contribuer à l’élévation du niveau de la culture générale de la population. C’est pourquoi il rédige des ouvrages de vulgarisation, divers manuels, dont un très estimé manuel de biologie, et de nombreux articles qui paraîtront dans la revue Nature.
Dès 1920, il publie un résumé de l’histoire mondiale intitulé The Outline of History qui se vend à deux millions d’exemplaires malgré les réserves de certains historiens et une accusation de plagiat. Cet ouvrage revendique la vision universaliste et progressiste qui avait inspiré en son temps la Cyclopædia et l’Encyclopédie. Une version remaniée du livre voit le jour en 1922 sous le titre de A Short History of the World, suivie quelques années plus tard par The Science of Life et The Work, Wealth and Happiness of Mankind.
Désireux d’approfondir sa démarche, WELLS caresse le projet d’une encyclopédie universelle, capable de mettre à la disposition du public le plus large l’essentiel du savoir humain sous une forme abrégée et synthétique. Il partage cette aspiration avec d’autres contemporains comme Paul OTLET et Otto NEURATH, résolus comme lui à classer, hiérarchiser et organiser l’ensemble des connaissances humaines avec l’objectif de cartographier les progrès de l’humanité dans une perspective scientifique, anthropologique et sociologique.
En 1905 le Belge Paul OTLET, cherchant à fournir un outil pratique à même de faciliter au plus grand nombre la recherche et l’accès à l’information, rédige une classification décimale universelle (CDU) qui doit permettre à terme de répertorier l’ensemble des écrits et de les répartir dans les différents domaines de la culture humaine. Cette démarche n’aboutit pas à un livre proprement dit, mais elle est animée par le désir d’aboutir à une véritable encyclopédie mondiale. Certains contemporains n’hésitent pas à faire de ce personnage, longtemps tombé dans l’oubli, un précurseur du Web sous forme papier.
La même volonté d’encyclopédie universelle guide, quelques décennies plus tard, l’Autrichien Otto NEURATH, lequel développe une autre approche : au lieu de juxtaposer de manière linéaire et séparée les sciences et les différents domaines de connaissance, il imagine de privilégier une conception transversale qui permettrait de passer d’une encyclopédie à une autre. Cette conception novatrice, que l’on retrouvera ensuite dans la navigation internet et les liens hypertextes, serait d’après lui la seule capable d’unifier réellement la science. En 1937, NEURATH présente un projet d’Encyclopédie internationale de la science unitaire (International Encyclopedia of Unified Science) qui doit être publié sous la forme de dix fascicules par volume. Le premier volume est achevé en 1938, mais la rédaction du second se trouve interrompue par le déclenchement de la guerre.
Observateur attentif de l’actualité scientifique, WELLS entend également apporter sa contribution à cette généreuse idée d’encyclopédie universelle à travers deux textes. Le premier, intitulé World Encyclopædia, est lu le 20 novembre 1936 au cours d’une conférence à la Royal Institution of Great Britain avant d’être publié dans la revue Nature du 28 novembre 1936. Le second exposé reprend et développe le concept dans un article présenté dans le Harper’s Magazine d’avril 1937 sous le titre de A permanent world encyclopædia. Ce court essai est traduit et publié dans l’Encyclopédie française dans sa livraison d’août 1937.
Mais c’est avec la parution de World Brain (ci-dessous à gauche) en 1938 que l’idée touche un large public. Occupant la place d’honneur dans ce recueil de discours et d’essais, la démonstration de WELLS est assortie d’un schéma d’organisation des connaissances (ci-dessous à droite).
Dans ses écrits, l’auteur expose sa conception d’une World Encyclopædia, qui serait « la base intellectuelle de tout homme intelligent du monde. Elle vivrait, croîtrait, évoluerait, serait révisée, enrichie, modifiée par tous les penseurs originaux, partout dans le monde ». À cette énonciation, le quidam du XXIe siècle ne peut que réagir, car cette philosophie n’est pas sans lui rappeler le principe central des actuelles encyclopédies participatives et de la plus fameuse de toutes : Wikipédia ! Mais WELLS voulait que cette encyclopédie soit “gérée” par des personnes dotées d’une expertise reconnue et d’un niveau universitaire avéré : « L’Encyclopédie mondiale moderne devra se composer de sélections, de citations, d’extraits méticuleusement rassemblés avec l’approbation des autorités les plus indiscutables sur chaque sujet, soigneusement collationnés et édités, et présentés de façon critique. Ce ne serait pas un mélange hétéroclite, mais un regroupement, une clarification et une synthèse. » Fidèle à ses principes philanthropiques, il y voit un moyen de rapprocher les hommes : « Une telle encyclopédie jouerait le rôle d’une bible non dogmatique dans une culture universelle… Elle unirait le monde intellectuellement. » Il ajoute qu’« elle pourrait faire fonction non seulement de banque de données et d’énoncés, mais aussi d’organe de correction et de validation – une sorte de chambre de tri des malentendus – ; elle constituerait, de façon délibérée, une synthèse, et servirait ainsi de flux et de filtre pour une très grande quantité d’erreurs humaines ». Hélas, avec la montée des tensions internationales, les temps ne sont pas propices aux utopies pacifiques universalistes ! Selon son biographe Jean-Pierre VERNIER, WELLS, « seul, sans disciple et sans espoir de trouver des collaborateurs qui accepteraient de mettre en chantier cette encyclopédie », renoncera assez vite à son projet qui rejoindra le cimetière des encyclopédies disparues avant même d’avoir existé. Pour conclure, précisons qu’en 2013 un documentaire, Google and the world brain, établit un lien direct entre la politique de numérisation mondiale lancée par Google et le projet initial de WELLS. Vous pouvez en découvrir ci-dessous la bande-annonce.