SF : le mariage de la science et de la fiction
Longtemps dédaignée et dénigrée par la critique, la science-fiction (SF) peut se définir comme une trame romanesque qui se déroule dans un univers imaginaire. Ce monde virtuel, qui nous est familier par certains aspects, s’avère pourtant fondamentalement différent du nôtre par l’omniprésence d’une technologie inconnue et par l’application de règles de physique différentes de celles que nous connaissons. Il a toujours été difficile de distinguer la SF des genres souvent très proches que sont l’anticipation, la dystopie, l’uchronie et même la fantasy ; d’autant que les frontières entre ces différents domaines ne sont pas strictement délimitées. À partir du début du XXe siècle, la SF connaît un rapide développement, favorisé par de considérables avancées scientifiques. Elle aura longtemps été présentée avec condescendance comme un genre mineur, réservé à un public “juvénile” amateur de récits exotiques et dépaysants. Ce mépris se verra pourtant rapidement démenti par l’engouement croissant des lecteurs pour le “merveilleux scientifique”, et par la révélation de véritables auteurs, dont certaines œuvres pourront être considérées comme d’incontestés chefs-d’œuvre de la littérature mondiale.
Empruntant la voie ouverte par les pionniers que furent Jules VERNE, Herbert George WELLS, J.H. ROSNY Aîné et Edgar Rice BURROUGHS, une nouvelle génération d’écrivains va donner ses lettres de noblesse à un genre qui connaîtra un premier âge d’or entre les années 30 et le début des années 60. Si l’usage du terme de « science-fiction » est attesté en Angleterre dès 1851, c’est aux États-Unis, à partir de 1929, qu’il entre dans le langage courant. Dès lors, la SF va définitivement se populariser en Amérique grâce, entre autres, à des revues et des pulps comme Astounding Stories, Galaxy Science Fiction, Amazing Stories et The Magazine of Fantasy & Science Fiction, pour ne citer que les plus connus. La bande dessinée et le cinéma achèvent d’assurer la notoriété mondiale d’un genre qui, fractionné en de multiples sous-genres, deviendra de plus en plus prolifique.
Devenue incontournable à l’époque contemporaine dans les arts et les divertissements, la science-fiction fait désormais partie intégrante de notre univers mental, y compris chez les plus cartésiens d’entre nous. Basée sur l’imagination, les avancées scientifiques et la projection, elle permet d’élaborer des hypothèses de ce que pourrait être le monde du futur. A posteriori, certains auteurs ont été considérés comme de véritables visionnaires pour avoir imaginé des évolutions technologiques devenues réalités, comme les écrans, les tablettes, Internet, la domotique, la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle. Comme l’a déclaré Ray BRADBURY : “Tout ce qu’on rêve est fiction et tout ce qu’on accomplit est science, toute l’histoire de l’humanité n’est rien d’autre que de la science-fiction.”
Une littérature SF
Pour répondre à la demande croissante de lecteurs désireux de s’aventurer dans cette myriade d’univers imaginaires, on a vu paraître des guides pour lecteurs débutants, comme le Science-fictionnaire, ou des essais historiques et critiques comme Alternate Worlds de James GUNN. Mais l’attente la plus grande s’est focalisée sur des encyclopédies susceptibles d’aiguiller les novices et de satisfaire la curiosité des “aficionados”. Il faudra pourtant attendre la fin des années 70 pour voir enfin émerger des ouvrages de référence.
En 1977, Brian ASH publie The visual Encyclopedia of Science-Fiction (ci-dessous). Cet écrivain et journaliste scientifique était déjà l’auteur d’essais remarqués sur le sujet : Faces of the Future, The Lessons of Science Fiction et Who’s Who in Science Fiction.
ASH opte pour une approche thématique partagée en 19 sections, chacune étant précédée en préambule par un essai rédigé par un créateur de SF. L’auteur de l’encyclopédie fait débuter son livre par une longue chronologie détaillée de soixante pages, qui retrace l’histoire du genre depuis 1805. L’ouvrage s’intéresse aux principaux types d’intrigues communs au genre (voyages dans le temps, voyages dans l’espace, androïdes, mutants et symbiotes, extraterrestres, etc.), ainsi qu’aux représentations de la science-fiction dans les livres, magazines, bandes dessinées et films. Le livre aura beaucoup de succès, mais il s’attirera les critiques des “fans” de la première heure, qui jugeront ce livre incomplet et trop léger, pour ne pas dire superficiel.
L’ouvrage contient de nombreuses illustrations en couleurs et en noir et blanc (ci-dessous), qui montrent à quel point la SF a pu être source majeure d’inspiration et de créativité pour les illustrateurs et les dessinateurs, dont certains sont devenus de véritables “stars” du genre, comme Wojtek SIUDMAK, MOEBIÜS, Chris FOSS, CAZA et Stephan MARTINIÈRE.
En 1978, c’est au tour de l’Encyclopedia of Science-Fiction (ci-dessous) de faire son apparition dans les librairies. Cet ouvrage est issu d’un travail collectif, auquel ont participé plusieurs auteurs, dont des romanciers de SF. Isaac ASIMOV signe la préface, pendant que Christopher PRIEST, Harry HARRISON et Douglas HILL rédigent des chapitres, tous placés sous la direction éditoriale de Robert HOLDSTOCK, un jeune passionné qui entame alors une carrière d’écrivain.
Encore une fois, le livre est organisé par sujet, avec treize parties supposées couvrir l’ensemble du phénomène SF : un rappel historique, les principaux thèmes abordés, la SF dans les revues, les bandes dessinées, le cinéma, les extraterrestres, les machines, les nouvelles tendances de la littérature de science-fiction, etc. Notons la présence du chapitre Fiction to fact, qui analyse les avancées technologiques qui avaient été prophétisées par des auteurs avant de devenir une réalité contemporaine. Là encore, l’iconographie est abondante (ci-dessous) et joue sur le succès alors récent du film Star Wars, particulièrement mis à l’honneur dans l’ouvrage. Bien que de volume assez réduit et inévitablement devenu obsolète en moins d’une décennie, cette encyclopédie traduite en France dès 1980 enchantera toute une génération de lecteurs « accros » à la SF.
L’ouvrage de référence : the Encyclopedia of Science Fiction
Il faut attendre 1979 pour assister enfin à la parution d’une encyclopédie suffisamment complète pour faire l’unanimité, tout à la fois chez les néophytes, les amateurs et les passionnés ; il s’agit de The Encyclopedia of Science Fiction (ci-dessous). Le rédacteur en chef du projet est un universitaire australien spécialisé dans la science-fiction, Peter NICHOLLS. Ce dernier était devenu l’administrateur de la Science-Fiction Foundation entre 1971 et 1977, et de la revue Foundation, the review of Science Fiction. Assisté de John CLUTE, il met près de quatre ans à élaborer une encyclopédie qui aborde tous les thèmes du genre, soit le vocabulaire spécifique, les auteurs principaux, la production de science-fiction dans près de 27 pays, le cinéma, les séries télévisées, les illustrateurs emblématiques, la bande dessinée, les magazines, les éditeurs et les fanzines. La première édition, avec ses 2 800 entrées et ses 672 pages, s’avère d’emblée beaucoup plus volumineuse et dense que les encyclopédies de ses prédécesseurs. Dès sa sortie, le livre est adoubé par de nombreux journalistes et auteurs, comme Frank HERBERT, ASIMOV et Michael MORCOCK.
La science-fiction, en constante évolution, connaît une production quasi exponentielle, de plus en plus diversifiée, de sorte qu’une nouvelle édition de l’encyclopédie s’imposera rapidement. Une seconde mouture est donc publiée en 1993, cette fois sous la direction collégiale de CLUTE et NICHOLLS qui, à eux deux, signent plus de la moitié des 4 300 entrées présentées. Suivra, en 1995, une version légèrement augmentée, éditée en version papier et en C.D.-Rom. Une troisième édition est ensuite mise en chantier, mais la masse d’informations à appréhender est devenue si considérable que l’équipe éditoriale va désormais devoir recourir aux possibilités offertes par Internet. C’est ainsi qu’une nouvelle version de l’Encyclopedia of Science Fiction, rebaptisée pour l’occasion SFE, est mise en ligne en octobre 2011 (ci-dessous le portail du site). Prévu pour être un “work in progress”, l’ouvrage fait l’objet d’une mise à jour permanente et de nouveaux chapitres continuent à faire régulièrement leur apparition.
Très malade et en retrait depuis le début des années 2000, NICHOLLS décède en mars 2018 mais, entretemps, son projet est devenu une des grandes références mondiales de la SF, même si des oublis et des lacunes sont régulièrement relevés par les fans. Les 12 230 entrées comptabilisées au moment du lancement passent à 17 500 en 2018 et, au 15 février 2021, leur nombre atteint les 18 486 entrées. Ce travail se verra couronné en 2012 par plusieurs distinctions, dont le prestigieux prix Hugo.
D’autres publications récentes
D’autres dictionnaires plus classiques ont également vu le jour ces dernières décennies, dont un grand nombre d’ouvrages thématiques consacrés aux films, aux lieux imaginaires, aux auteurs, aux artistes, etc. Signalons au passage que la France, qui a toujours compté des écrivains majeurs de SF, dont de nombreux précurseurs, n’est pas en reste. Dès 1972, Pierre VERSINS a publié une œuvre pionnière : L’Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction, qui recevra le prix Hugo.
Autre publication emblématique, le premier véritable dictionnaire historique du vocabulaire de la science-fiction, paru en 2007 : Brave New World : The Oxford Dictionary of Science Fiction de Jeff PRUCHER (ci-dessous).
Dans ce livre, l’auteur s’efforce de retrouver l’origine de chaque mot puis de décrire son évolution en l’illustrant par des extraits. C’est ainsi que nous découvrons que le concept d’Alien, en tant que créature d’un autre monde, a pour la première fois été utilisé en 1820, et que le mot Robot, du tchèque Robota signifiant “travail forcé”, a fait son apparition en 1921.
L’élaboration de cet ouvrage doit beaucoup au Science Fiction Citations Project mis en place par l’antenne américaine de l’Oxford English Dictionary (OED). Il s’agit d’une base de données créée en 2001, qui a recueilli de manière collaborative des mots clés et des citations relatives à la SF. Elle était hébergée sur le site personnel de Jesse SHEIDLOWER, un linguiste et lexicographe, rédacteur en chef, entre 1999 et 2013, de l’édition US de l’OED. Effet secondaire, et pour le coup positif de la pandémie de 2020, cet homme a profité de son confinement pour valoriser une masse d’informations restée en sommeil. Après avoir obtenu de son ancienne maison d’édition l’autorisation de relancer le projet à titre indépendant, son Historical Dictionary of Science Fiction sera finalement mis en ligne le 26 janvier 2021 (ci-dessous, quelques pages du site).
Pour l’heure, ce nouvel outil, accessible gratuitement, recense près de 1 800 entrées ; au fil du temps il devrait s’enrichir et bénéficier de l’actualisation de données recueillies il y a plus d’une décennie. Pour connaître plus de détails sur la genèse de ce nouveau dictionnaire en ligne, nous vous invitons à consulter cet article du site Wired.
Sur un sujet voisin, nous vous renvoyons également à notre précédent billet : Encyclopédies de science-fiction : l’Encyclopedia Galactica et H2G2.