Les mots erronés
Il existe des dictionnaires parodiques, dont nous savons pertinemment avant de les ouvrir qu’ils vont nous livrer des définitions absurdes ou de savoureux néologismes. En revanche, nous plaçons spontanément notre confiance dans les dictionnaires “officiels”, que nous percevons comme des arbitres ou des maîtres d’école, sérieux et équitables, et dont nous attendons qu’ils nous livrent la vérité, rien que la vérité… Pourtant, et c’est le sujet du jour, les erreurs et les chausse-trappes peuvent également s’insinuer dans les plus vénérables institutions lexicographiques.
À bien y regarder, les dictionnaires ont souvent laissé passer des définitions erronées, des contresens, voire des préjugés, hissés au rang de vérités universelles. De ce point de vue, comparer certaines définitions à travers les époques peut constituer une démarche un peu affligeante, parfois amusante mais toujours instructive. Commençons par certains mots qui, mal retranscrits dès l’origine, ont fini par s’imposer comme la norme. Citons d’emblée le cas de l’imprimeur du Dictionnaire de l’Académie française qui, lors de l’impression de l’édition de 1740, ne disposant plus de caractères « è » dans son cassetin, les remplacera, dans de nombreux mots, par des caractères « é », nonobstant la prononciation. Ces erreurs de ponctuation seront intégralement reprises dans les trois éditions suivantes, et il faudra attendre la septième, celle de 1878, pour voir certains mots comme Collège et Avènement retrouver leur graphie d’origine. Seul le mot Événement est resté en l’état depuis 1740.
Le problème devient plus aigu quand, au sein du dictionnaire, figurent des définitions totalement inventées, sans qu’aucune indication ne le signale. Désignées par les termes Nihilartikel, Fictitious Entry, Mots fantômes, ou le plus souvent Entrées fictives, il est possible depuis longtemps de trouver des définitions imaginaires dans plusieurs encyclopédies et dictionnaires.
Les mots fantômes
Notre premier réflexe serait de penser qu’elles sont dues à des erreurs involontaires car, compte tenu de la masse de mots recensés, des bévues sont toujours possibles. Évoquons dans cet ordre d’idées le cas emblématique du mot Dord, qui figure dans la seconde édition du New international dictionary, édité en 1934 par la très sérieuse maison Merriam-Webster. Dans une note préparatoire, un responsable éditorial avait rédigé le message sibyllin suivant : “D or d, cont./Density”, ce qui signifiait que le mot Density pouvait, dans les définitions, être abrégé par D ou d. Par suite d’un malheureux concours de circonstances, les espaces n’étant pas respectées, Dord sera interprété comme un mot ayant pour définition Density. Ce bel exemple de mot fantôme “hantera” ce dictionnaire pendant plusieurs années, et sera largement repris par les éditeurs concurrents.
Les mots pièges
Mais il arrive aussi que des définitions fautives aient été sciemment créées de toutes pièces. Il peut s’agir de canulars ou de blagues potaches, comme dans le cas du Steinlaus, petit insecte pétrophage longtemps décrit dans la Pschyrembel Klinisches Wörterbuch. Mais la raison la plus fréquente est à la fois plus simple et plus étonnante : ce sont des outils destinés à prouver le plagiat. Il est vrai que les dictionnaires ont souvent du mal à affirmer de manière incontestable le caractère original de leur contenu, car ils se sont peu ou prou appuyés les uns sur les autres au long des siècles. Pour cette raison, certains dictionnaires sont parfois parsemés d’erreurs volontaires ou de mots imaginaires destinés à mettre le pillage en évidence. C’est ainsi que dans un article précédent, sur la querelle du Maxidico, nous avons signalé que c’est par la copie d’une date volontairement fausse, incluse dans une définition, que la preuve du plagiat a pu être formellement établie.
Quelques-uns de ces “mots pièges” sont restés célèbres. Dans la Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, une encyclopédie traitant de l’Antiquité classique commencée en 1839 et achevée en 1978, nous pouvons trouver cette définition d’Apopudobalia (ci-dessous).
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Il s’agissait de l’invention pure et simple, description détaillée et références bibliographiques à l’appui, d’un terme supposé désigner un sport de balle, véritable ancêtre du football, qui aurait été particulièrement apprécié par les légionnaires romains, sans doute lointains ancêtres de la Squadra azzurra. À noter quand même qu’à Rome existait bien un jeu de balle appelé Harpastum.
En 1903, la Music Lovers’ Encyclopedia se concluait par un mot bien étrange : Zzxjoanw (ci-dessous), prononcé “Shaw”.
Présenté comme un mot maori désignant un tambour ou une petite flûte, sa définition était présente dans les éditions suivantes, jusque dans les années 1950. Or ce terme, qui aurait été bien utile aux amateurs de Scrabble, se trouve être une pure invention d’un rédacteur, les langues maories n’ayant pas l’usage des sonorités liées aux lettres J, Y et Z.
Le cas le plus étonnant et le plus médiatisé se trouve être, non pas un mot, mais une fiche biographique. Dans son édition de 1975, la New Columbia Encyclopedia renferme la fiche biographique de Lillian Virginia MOUNTWEAZEL (ci-dessous).
Cette jeune photographe est censée avoir réalisé des séries de reportages sur des sujets inhabituels, comme les boîtes aux lettres de la campagne américaine. Au cours d’un déplacement effectué pour le compte de Combustibles Magazine, elle serait décédée au cours d’une explosion. Cette mort “gaguesque” révèle le pot aux roses : MOUNTWEAZEL n’a jamais existé… Quand la supercherie sera découverte, le mot « Mountweazel » se popularisera dans le monde des éditeurs, comme le synonyme d’une définition fictive. Pour l’anecdote, précisons qu’en 2009, une galerie de Dublin organisera une fausse rétrospective de l’œuvre de notre photographe imaginaire.
En 2005, afin de lutter contre le plagiat de l’édition en ligne de son New Oxford American Dictionary, les éditeurs y ont introduit un mot inventé, Esquivalience, qui correspondrait à l’art d’esquiver systématiquement ses responsabilités officielles. Suite à une fuite, cette entrée fictive sera débusquée, mais grâce à elle le dictionnaire bénéficiera d’une importante couverture médiatique. Précisons que ce néologisme perdure, entre autres par le biais de l’Urban Dictionary.
Sans sombrer dans la paranoïa, convenons qu’il importe de garder son esprit critique en éveil quand on consulte un dictionnaire, mais cette vigilance doit aussi s’imposer dans d’autres domaines. Pour détecter d’éventuels copieurs, beaucoup d’atlas, de cartes et de plans présentent également des rues imaginaires (que les Anglo-Saxons ont baptisées Trap streets) et des localités fictives (la plus célèbre étant Agloé, un lieu-dit situé dans l’État de New York). Ajoutons enfin que, toujours dans le même ordre d’idées, certains annuaires téléphoniques proposaient délibérément des faux numéros.
Pour creuser le sujet, vous pouvez vous référer à la fiche Wikipédia, assez complète, consacrée à ce sujet, ou encore à cet article du site Mentalfloss.
Bonjour,
Je vous remercie pour ce billet et pour ces quelques histoires amusantes de coquilles et de pièges. Il existe aussi la très intéressante “base des mots fantômes” : http://web.atilf.fr/Base-des-mots-fantomes
Bien à vous
Éric