Des bibliothèques insolites
Après avoir fait un tour d’horizon de bibliothèques mobiles associées à des animaux divers, nous allons nous intéresser à d’autres bibliothèques qui sortent de l’ordinaire. Le critère que nous avons retenu pour mettre en avant leur originalité est le caractère insolite du lieu qui les abrite. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’imagination, associée à la débrouillardise, accouche parfois de résultats pour le moins étonnants. Nous nous intéresserons donc aujourd’hui à des moyens de transport qui, détournés de leur usage premier, ont été réaménagés pour abriter une bibliothèque.
Les avions-bibliothèques
Commençons par le domaine des airs. Jusqu’à l’année 2017, la plupart des vols commerciaux se contentaient de proposer des journaux à leurs passagers. Cette année-là, la compagnie “low cost” Easyjet imagine de soigner une réputation très écornée malgré son succès commercial, en lançant un programme Library in the Sky, destiné à faire oublier les critiques sur la qualité médiocre de ses prestations. En association avec la maison d’édition Penguin, elle met à disposition de ses clients, pendant le vol, des livres de la collection Puffin Classics.
Partant du constat que beaucoup d’enfants s’ennuient en avion, la compagnie décide de mettre à leur disposition une sélection de livres, majoritairement composée de classiques de la littérature anglophone pour la jeunesse. Cette opération, étendue aux 147 appareils de la flotte basée au Royaume-Uni, permet de proposer un total de 7 000 livres aux jeunes voyageurs durant les mois d’été. Rebaptisée Flybrairies, la campagne sera reconduite l’année suivante dans 296 avions avec un choix élargi à 17 500 ouvrages, imprimés en sept langues dont 2 400 en français. Ci-dessous, vous trouverez la vidéo promotionnelle de l’opération.
Malgré le succès de l’opération, la compagnie continuera de voir son image se dégrader auprès du grand public. Pour réagir, Easyjet décide alors, en 2019, de porter à 60 000 le nombre de titres transportés en partenariat avec l’éditeur Harper Collins. Après la parenthèse de 2020 due à la crise sanitaire, le projet sera réactivé durant l’été 2021 et enrichi d’une possibilité nouvelle, celle de télécharger des livres numériques.
Outre cette bibliothèque volante qui n’est exploitée que de manière saisonnière, un certain nombre d’aéroplanes sont transformés en bibliothèques, mais sans quitter le plancher des vaches. Voulant marquer les esprits et bénéficier d’un cadre pour le moins inhabituel, des esprits inventifs ont imaginé de reconvertir d’anciens coucous déclassés ou destinés à la casse. En 2017, un Bœing 727 – mis au rencart depuis 2008 – est découpé en trois tronçons avant d’être garé dans un parc de la ville de Ciudad Hidalgo dans l’État du Michoacán (ci-dessous). Après aménagement de l’appareil, cette Biblioteca en Las Nubes, inaugurée en avril 2018, se voit dotée d’ordinateurs individuels, de livres et d’un simulateur de vol installé dans le cockpit. Depuis, le nouvel équipement culturel et ludique connaît un beau succès, particulièrement auprès des écoliers de la région.
À cette date, Mexico comptait déjà un autre “biblioavion” de taille plus modeste. C’est en effet en juillet 2004 que les habitants de la mégalopole ont eu la surprise de voir un antique Douglas DC9 traverser la ville sous bonne escorte, pour stationner définitivement dans le jardin Balbuena à l’est de la gigantesque agglomération. Baptisée Tlatoani, cette médiathèque aéroportée (ci-dessous) a été ouverte au public en octobre 2005. Organisée en bibliothèque virtuelle, elle n’abrite aucun livre “papier” mais propose une trentaine d’ordinateurs pour se connecter à la collection du Réseau national des bibliothèques publiques.
Toujours dans la capitale mexicaine, mais cette fois dans le district d’Iztapalapa, un Bœing 737 (ci-dessous) a lui aussi effectué son dernier voyage pour être reconverti en bibliothèque publique sur une place autrefois mal famée. Dans un quartier déshérité où la drogue et l’alcool font des ravages, les autorités municipales ont voulu offrir aux habitants un véritable lieu culturel accessible à tous, pour les aider à se cultiver, s’amuser et se détendre.
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Joliment décoré et aménagé, le Volando a la Utopia propose à ses visiteurs 26 ordinateurs connectés donnant accès à 25 000 ouvrages numériques, 230 livres imprimés, des audiolivres ainsi que des jeux et des activités ludiques.
En Bolivie, un “bibliavion” (ci-dessous) – un ancien Convair T-29B de 1953 qui appartenait à l’armée de l’air – a lui aussi connu un réaménagement complet pour permettre d’accueillir un jeune public en semaine, le dimanche étant réservé aux familles. Financé par la Fondation Simón I. Patiño, le vieil appareil a été démonté et reconstitué à Cochabamba, dans le quartier populaire de Wayrak’asa.
https://www.youtube.com/watch?v=EWA68Kc-2ToBien que ses capacités restent modestes – 400 utilisateurs par mois en moyenne -, ce lieu, qui répond depuis plus d’une vingtaine d’années à la demande des habitants, permet d’accéder à 1300 références et à des cours de soutien scolaire, tout en hébergeant des clubs de lecture et des activités ludiques.
Nous terminerons le chapitre consacré aux aéronefs en changeant de continent. Un matin d’automne de l’année 2017, les élèves de l’école technique d’aviation d’Aksu, près d’Antalya en Turquie, ont la surprise de découvrir un Boeing 737 en cours d’installation dans la cour de leur établissement. Victime d’un accident lors d’un atterrissage en 2011 et mis en vente après la faillite de la compagnie en 2013, il a été racheté par un mécène qui en a fait don à l’école, où il finit son existence en médiathèque pour les étudiants.
Ces projets n’ont pas manqué de donner des idées à certains édiles. En janvier 2018, un avion qui rate son atterrissage sur la piste de l’aéroport de Trébizonde manque de très peu de finir sa course dans la mer Noire avec tous ses passagers. Cinq jours après l’accident, le maire contacte la compagnie en lui demandant de pouvoir réutiliser l’épave pour en faire la future bibliothèque de la ville mais, malheureusement, ce plan ne s’est pas concrétisé.
Les bibliothèques sur rail
Changeons de mode de transport pour nous tourner vers le rail. Dans la grande ville brésilienne de Curutiba, un wagon de tramway, après avoir connu différents usages depuis sa mise au rencart en 1973, est devenu en 2010 la Bondinho da Leitura (ci-dessous).
Stationné dans une artère du centre-ville, le vénérable wagon au délicieux charme “vintage”, riche de 2500 livres, est désormais une attraction touristique emblématique de la ville.
Très loin de là, au Japon, la mégalopole de Tokyo compte deux trains réhabilités en bibliothèques. Le premier est garé depuis 1967 près de la gare de Kumegawa. À l’époque, la ville d’Higashimurayama ne disposait d’aucune bibliothèque municipale et, pour satisfaire la demande des habitants, la compagnie ferroviaire locale lui avait fait don d’un vieux wagon destiné au rebut. Celui-ci sera remplacé en 2001 par un modèle plus récent (ci-dessous, l’intérieur) qui, avec ses 5 000 ouvrages, fait désormais la fierté des bénévoles qui l’entretiennent avec amour.
Toujours dans les environs de Tokyo, précisément dans la ville d’Akishima, nous trouvons cette fois un wagon du fameux Shinkansen aménagé pour mettre plus de 10 000 ouvrages à disposition de ses lecteurs, qui peuvent depuis 1992 s’adonner au plaisir de la lecture confortablement installés dans les sièges d’origine.
Toujours en Asie, la Thaïlande disposait d’un important matériel ferroviaire qui, obsolète, nécessitait d’être renouvelé. Profitant de cette opportunité, un projet de création de bibliothèques ferroviaires s’est concrétisé face à la gare de Hua Hin dans la province de Prachuap Khiri Khan, où deux wagons (ci-dessous, photo de Richard Barrows) ont été joliment réaménagés pour se transformer en lieux de culture et de détente. Mais, du fait de travaux d’infrastructures et d’un défaut d’étanchéité, une rénovation et le déplacement de la bibliothèque devraient bientôt être engagés.
La Thaïlande a multiplié les wagons-bibliothèques, comme par exemple à Kantang, à Chang Rai et à Bangkok où, à proximité de la station de Hua Lumphong, l’un d’eux est réservé aux enfants des rues réfugiés dans la gare.
Si les trains que nous venons d’évoquer restent statiques, d’autres ont conservé leur mobilité. Au Bengale, le Kolkata Young Reader’s Tramcar, lancé en 2020, circule tous les jours selon deux itinéraires pour desservir une part significative de la cité de Calcutta. En Corée du Sud, le train assurant la ligne Gyeongui Jungang, qui relie Paju à Yangpyeong à l’ouest de Séoul, compte un wagon-bibliothèque équipé d’étagères garnies de livres et de liseuses afin d’agrémenter le trajet des passagers (ci-dessous).
Précisons également que certaines gares coréennes sont équipées de machines automatiques permettant de louer des ouvrages, système également présent à Singapour et à Taiwan. Enfin, en 2015, une expérimentation menée en Iran dans six trains prévoyait un espace dédié à la lecture où il était possible d’emprunter, le temps d’un trajet, un des 500 ouvrages “agréés par le ministère de la Culture”.
D’autres projets exploitent les facilités du numérique, peu gourmand en espace, pour permettre aux lecteurs de consulter des extraits ou des livres complets à l’aide de tablettes. C’est ainsi qu’en 2014 la bibliothèque de la ville de Brno, en Moravie, soucieuse de promouvoir la lecture, transforme un tramway en antenne digitale. De son côté, en 2017, le métro de New York, associé à la New York Public Library, lance une application Subway Library, qui offre la possibilité aux usagers du métro de “parcourir et télécharger des livres, des histoires courtes, des chapitres et des extraits qui peuvent être lus rapidement et facilement”.
Les bateaux-bibliothèques
Quittons maintenant la terre ferme pour voguer sur les océans, les mers, les rivières et les fleuves, en évoquant les navires de croisière. Soucieux d’occuper l’esprit des passagers, les armateurs ont parfois équipé leurs navires de véritables bibliothèques bien achalandées, installées dans des salles prestigieuses. À titre d’exemples, vous trouverez ci-dessous, de gauche à droite, la superbe bibliothèque du Queen Victoria – qui n’est pas sans ressemblance avec celle du Queen Elizabeth II – et celle du Queen Mary II, riche de 10 000 ouvrages rédigés en six langues.
Passons aux bateaux, d’une taille autrement plus modeste, dont l’unique mission est de servir de bibliothèque. Avec ses 24 mètres de longueur, l’Epos (ci-dessous), qui fait figure de “nain” comparé aux géants des mers, accomplit vaillamment sa mission en Norvège depuis plus d’un demi-siècle, dans la région du Hordaland, Møre og Romsda et Sogn og Fjordane morcelée en fjords et archipels. Pour lancer leur projet, les Norvégiens se sont inspirés de l’exemple de la Suède voisine, où la bibliothèque régionale de Stockholm a mis en place, dès 1953, un service de bateau-bibliothèque – toujours actif – destiné à “ravitailler” une vingtaine d’îles. En 1959, les autorités d’Oslo décident d’affréter un ancien bateau de pêche, le Abdullah qui, dès sa première campagne, visitera 150 communautés avec 7000 ouvrages dans ses cales. Au vu du succès de l’entreprise, un bateau plus grand prendra le relais en 1962, avant d’être remplacé, l’année suivante, par un navire spécialement construit dont le nom constitue déjà un programme : Epos, mot qui signifie épopée en norvégien.
Désormais, ce “Bokbåten”, dont le stock et le rayon d’action ont été progressivement élargis, effectue ses tournées de septembre à avril, pour se muer le printemps et l’été en navette touristique. Sa bibliothèque, désormais dotée d’un fonds de plus de 20 000 objets culturels, peut en transporter 4 à 6000 à chaque voyage. En 2005, lors de ses campagnes, 53 000 emprunts ont été enregistrés. Devenu très populaire dans le pays, l’Epos accueille ponctuellement des spectacles pour enfants ou des rencontres avec des écrivains. Toujours en Scandinavie, le Kalkholm effectue pour le compte de la bibliothèque de Pargas, en Finlande, une mission similaire depuis 1973. Mais, malgré son utilité et sa popularité, le gouvernement d’Helsinki a décidé, pour des raisons budgétaires, de mettre fin à l’exploitation du navire au terme de plus de trente années de bons et loyaux services.
Changeant de continent, nous nous déplaçons au Laos, où la bibliothèque de Luang Prabang et l’ONG Community Learning International ont créé une bibliothèque embarquée (ci-dessous), qui dessert près de 104 villages.
Dans ce pays irrigué par le Mékong, deux grands bateaux, chargés de près de 100 “sacs de livres” de 100 titres chacun, assurent des tournées régulières afin d’alimenter les écoles primaires riveraines, tout en veillant à changer périodiquement les ouvrages pour que les lecteurs accèdent à de nouveaux titres.
En Indonésie, souvent à l’initiative de particuliers, plusieurs bibliothèques mobiles fournissent en livres plusieurs régions de ce vaste pays insulaire. La plus connue d’entre elles est hébergée dans un bateau, le Perahu Pustaka (ci-dessous), propriété de Muhammad Ridwan ALIMUDDIN. Cet écrivain, journaliste passionné de navigation et de littérature, avait déjà fondé une bibliothèque accessible sur simple demande dans son village natal du sud de Sulawesi (Célèbes). À partir de 2015, alliant ses deux hobbies, il entreprend de caboter dans les villages de pêcheurs avec son petit bateau pour proposer des ouvrages, dont le nombre actuel avoisine les 8 000 références.
Autre initiative récente, lancée en janvier 2021 au Bengale, une Boat Library (ci-dessous) a été mise en service sur la rivière Hoogly.
De l’autre côté de la frontière, au Bangladesh, les habitants accoutumés aux crues et à la mousson ont installé des bibliothèques sur des bateaux, en particulier le long de la rivière Gumani.
Dans un registre proche, citons la plus grande librairie flottante du monde, la Logos Hope, exploitée par une association caritative allemande, qui parcourt les océans en permanence pour desservir des endroits difficiles d’accès et propose à la vente près de 5 000 titres à prix abordable. Enfin, n’oublions pas les bibliothèques sous-marines, comme celle ci-dessous, logée dans une unité de l’US Navy.
Et la…brouette-bibliothèque!
Terminons par un mode de transport on ne peut plus improbable : la brouette ! Du Salvador à Blackpool, en passant par la Flandre et Marseille, nous pouvons constater que ce modeste outil de jardinage peut se convertir sans peine en bibliothèque mobile.
Si vous souhaitez retrouver d’autres bibliothèques itinérantes insolites, nous vous renvoyons au petit livre de Margriet RUURS, My Librairian is a Camel.