Pour les “dicophiles”, les amoureux de dictionnaires et d’encyclopédies, le premier trimestre 2018 aura été marqué par une intense activité lexicographique. Le Dicopathe a décidé de relater dans ces colonnes trois évènements représentatifs de la période : le nouveau livre de Jean Pruvost, le salon Dico-Plaisir et la Journée des dictionnaires.
Pleins feux sur nos dictionnaires, tel est le titre du nouvel opus de notre ami Jean Pruvost, père incontesté des dicopathes de tout poil, souvent connu sous le surnom de “l’homme aux dix mille dictionnaires”.
Ci-dessous une photo de l’auteur au milieu de ses dicos :
L’auteur a eu l’excellente idée d’innover en réunissant, pour la première fois dans un même ouvrage, des réflexions sur les dictionnaires, formulées du XVIe siècle à nos jours par des personnalités aussi diverses qu’éminentes.
C’est ainsi que sur plus de 600 pages nous découvrons 2 500 citations consacrées aux dictionnaires et 2 000 articles recueillant les réflexions surprenantes, drôles, insolentes ou profondes de 700 personnages les plus variés, qu’ils soient écrivains, savants, humoristes, journalistes, lexicographes, chanteurs ou hommes politiques. Cet ouvrage, fruit de la longue expérience d’un spécialiste reconnu des dictionnaires, s’adresse à tous les amoureux de la langue française.
En forme de mise en bouche, nous vous proposons de goûter quelques extraits du livre :
*Rêver : « On me dira : À quoi bon un dictionnaire sur une île déserte où il n’y a personne pour échanger des mots ? Je dirai : Pour rêver » (Jean d’Ormesson)
*Explosif : « Si les hommes comprenaient mieux les dangers que comporte l’emploi de certains mots, les dictionnaires, aux devantures des librairies, seraient enveloppés d’une bande rouge : Explosifs. À manier avec soin ».
*Squelette : « Un dictionnaire sans citation est un squelette » (Voltaire).
*Fond (au) : « Chaque dimanche soir, avant de m’endormir, je flâne quelques minutes au fond d’un dictionnaire, je choisis un mot inconnu de moi… et je le prononce à haute voix, avec amitié. Alors, je vous jure, ma lampe quitte la table où d’ordinaire elle repose, et s’en va éclairer quelque région du monde ignorée » (Erik Orsenna).
*Enfant : « Le plus beau présent que l’on puisse faire à un enfant quand il sait lire, c’est de lui offrir un dictionnaire » (Georges Duhamel).
*Entraver : « Dictionnaire, douteux dispositif académique destiné à entraver l’évolution d’un langage » (Ambrose Bierce).
*Reporter (se) : « Il n’est pas de jour où je n’aie l’occasion (parfois même au cours du repas) de me reporter à un dictionnaire pour combler une ignorance, en vérifiant un sens, une orthographe, un emploi » (Jacqueline de Romilly).
*Amant : « Les dictionnaires ont leurs amants. Ces derniers s’immergent pendant des heures entières, et pour leur plus grande béatitude, dans l’océan des mots ; ils n’ont nul besoin de trouver un alibi à leur passion » (Claude Hagège).
*Niche : « Il y eut un temps où, avant de savoir lire, je me logeais en boule entre deux tomes du Larousse comme un chien dans sa niche » (Colette).
*W : « Dans cent ans, je serai réduit à deux lignes dans un dictionnaire à la lettre A. C’est mieux que d’être à la lettre W où on relègue les inconnus comme Orson Welles. (Woody Allen)
Dico-Plaisir : Le dimanche 11 mars, Dicopathe s’était déplacé au Mans pour assister à ce qui constitue désormais un rendez-vous national des amoureux des dictionnaires.
Rappelons que l’évènement est né, il y a trois ans, d’une initiative de Jean-Pierre Coffe, grand amateur de jardinage et de mets, auteur d’une cinquantaine de livres, mais aussi grand amoureux des dictionnaires dans lesquels il prenait plaisir à déambuler comme dans les allées de son jardin.
Cette année, l’invité d’honneur du salon était Jean-Louis Debré qui vient de publier un Dictionnaire amoureux de la République. Dans la salle du théâtre des Quinconces, pendant près d’une heure, seul en scène, il a témoigné avec beaucoup de brio et d’enthousiasme de tout l’amour qu’il vouait à Marianne, une République qu’il avait fidèlement servi sa vie durant dans des fonctions prestigieuses : magistrat, ministre, président de l’Assemblée et président du Conseil constitutionnel.
Dès la fin de la conférence la foule envahissait les allées du premier étage du théâtre où s’étaient regroupés une trentaine d’auteurs de dictionnaires, qui dans la bonne humeur se prêtaient à la traditionnelle séance de dédicaces et d’échanges avec le public.
Les ouvrages présentés abordaient les sujets les plus divers, du plus classique avec La science en France aux plus inattendus comme le Petit dico à l’usage des darons et daronnes qui désespèrent de comprendre leurs enfants ou encore le Dictionnaire impertinent de la vieillesse.
Dicopathe avait également plaisir à retrouver Jean Pruvost, cité plus haut, mais également à faire connaissance avec les auteurs de deux des ouvrages auxquels notre site a consacré des billets : Dictionnaire insolite des aptonymes et Les mots du bitume.
La journée des dictionnaires se tenait le 21 mars dans les locaux de l’Alliance française à Paris. Créée par Jean Pruvost en 1999, il s’agissait de la 26e édition de ce colloque international qui, comme de coutume, réunissait des personnalités éminentes de la lexicographie française et européenne.
Le colloque était ouvert par M.Michel Doucet, président de la fondation de l’Alliance française qui se félicitait d’entrée de l’ambitieux discours prononcé la veille par le président Macron devant l’Académie française à l’occasion de la journée internationale de la francophonie. Il va sans dire que la stratégie volontariste du président visant à promouvoir le français à l’international avait tout pour séduire un public composé d’inconditionnels de notre belle langue
Le thème choisi pour la journée était : “Les dictionnaires et les femmes”. Vaste sujet, qui a permis de mesurer au travers des dictionnaires l’évolution du statut de la femme depuis le XVIIe siècle. À suivre les interventions successives des conférenciers, l’assistance a pu juger à quel point le dictionnaire était le parfait miroir de la société de son temps.
Dans son Dictionnaire françois de 1680, Pierre Richelet définissait le mot “femme” en ces termes : « Créature raisonnable faite de la main de Dieu pour tenir compagnie à l’homme » et il complétait ainsi la définition : « Prendre une femme est une étrange chose, & c’est bien fait d’y songer toute sa vie. » Symptomatiques étaient aussi les exemples qu’il choisissait pour illustrer les adjectifs “imbécile” : Elle est imbécile et “intelligent” : Il est intelligent. Les esprits n’évoluant que très lentement sur le sujet, Pierre Larousse, qui passait pourtant en son temps pour un esprit éclairé, écrivait encore dans son Grand dictionnaire du XIXe siècle : « L’infériorité intellectuelle de la femme ne fait pas de doute. » Signe des temps, dans l’actuel Petit Larousse la femme a cessé d’être définie en fonction de l’homme, accédant désormais au statut d’« être humain du sexe féminin ».
Comme symbole fort de la nouvelle place des femmes dans le monde des dictionnaires, la séance de l’après-midi du colloque était présidée par une femme, Carine Girac, à qui a été confié le département dictionnaires des prestigieuses Éditions Larousse.
Ci-contre : Patricia Maire et Carine Girac.
Présente à ses côtés à la tribune, une autre femme, sa collaboratrice lexicographe, Patricia Maire, a décrit lors de son intervention les difficultés qu’elle avait dû surmonter pour rédiger un dictionnaire de français destiné au Québec. Dans la Belle province, où la féminisation du langage est bien plus avancée qu’en France, chaque nom de métier au masculin doit avoir son équivalent féminin, et un dictionnaire doit comporter un nombre exact d’exemples au féminin comme au masculin, ce qui donne : « Madame regarde la télévision pendant que monsieur fait le ménage. »
En conclusion, nous vous proposons la vidéo du discours d’Emmanuel Macron sous la coupole de l’Académie :