Le monde éditorial des dictionnaires francophones est très largement dominé par un trio de “poids lourds”, qui ont pour nom : Larousse, Hachette et Robert. Néanmoins, quelques petits éditeurs, qui assurent eux-mêmes la diffusion de leurs ouvrages, parviennent à tirer leur épingle du jeu, même si leurs tirages restent infiniment plus limités. La recette de leur succès peut, pour certains d’entre eux, résider dans le caractère régional ou local des publications. D’autres ont réussi, grâce au caractère pointu et très spécialisé de leurs dictionnaires, à occuper ce qu’on pourrait appeler une “niche” éditoriale. C’est le cas notamment d’un lexicographe autodidacte, improvisé éditeur, qui a brillamment gagné son pari : Henri GOURSAU (ci-dessous).
Sa maison d’édition, toujours basée au domicile familial en région toulousaine, a publié l’année dernière le 56e livre de son catalogue.
Rien ne prédestinait pourtant ce fils d’agriculteur, né dans un petit village des Pyrénées, à embrasser une carrière littéraire, même si, dès ses jeunes années, il dévorait livre sur livre tout en gardant les troupeaux qu’il faisait paître dans la montagne. Après avoir suivi des études de mécanique à Toulouse, il devient technicien chez Air France, et c’est dans le contexte de son travail, presque par accident, qu’est née sa vocation lexicographique. Comme il le rappelle lui-même : “Les réacteurs étaient américains, produits par General Electric ou Pratt & Whitney, et tous les manuels étaient en anglais.” Devant la difficulté de traduire et de comprendre des termes très techniques, il n’était pas rare d’avoir à consulter plusieurs ingénieurs, mécaniciens et techniciens, avant de pouvoir dégager une traduction faisant consensus.
De sa propre initiative (“J’en avais assez de toujours chercher la traduction des termes pour les Boeing sur lesquels je travaillais”), Henri GOURSAU commence à noter sur un calepin les termes techniques en anglais, accompagnés de leur équivalent en français. Son épouse Monique les retranscrit ensuite à la machine à écrire. Mais notre auteur ne s’arrête pas là… Il épluche des revues, des brochures, des livres et des manuels, tout en se documentant par ailleurs directement auprès des avionneurs. Peu à peu son classeur prend du volume, renfermant finalement un lexique de près de 20 000 mots.
Considérant qu’il a réussi à faire le tour du sujet, en toute logique il soumet prioritairement son manuscrit à la compagnie Air France, qui ne se montre guère intéressée. Sans se démonter, Henri GOURSAU entreprend alors de faire le tour des maisons d’édition, mais il essuie refus sur refus. Le fait qu’il ne soit pas ingénieur de formation et qu’il ne sorte pas d’une grande école le pénalise. Conscient de la valeur de son travail et de la réelle demande sur le sujet, il ne se décourage pas pour autant et décide d’éditer et de distribuer lui-même son ouvrage. Après s’être formé à l’impression dans une entreprise de Cahors, il se lance dans l’édition. Il n’hésite pas à investir la somme empruntée pour la construction de sa cuisine dans l’impression de 2 000 exemplaires de son premier livre, bilingue français-anglais : le Dictionnaire de l’aéronautique et de l’espace (ci-dessous).
Son dictionnaire à la main, Henri GOURSAU démarche les écoles d’ingénieurs, les universités, Dassault, l’Aérospatiale, la Snecma, et bien sûr Air France. Le succès est immédiatement au rendez-vous car, comme son auteur l’avait pressenti, l’ouvrage répond à un besoin réel dans le milieu de l’aviation. Sans distributeur, il est toujours absent de la plupart des librairies et, à ce jour, ce sont Henri GOURSAU et son entourage qui se chargent eux-mêmes des expéditions. Aujourd’hui, ce dictionnaire, reconnaissable à son austère couverture rouge et bleu, est devenu une référence incontournable dans le domaine aéronautique. Il est présent dans les ateliers, les écoles d’aéronautique, les avions de ligne et jusqu’à la salle de contrôle du centre spatial de Kourou. La dernière version est riche de 60 000 mots, et l’année 2017 aura vu paraître une version bilingue français-russe.
Mais, si l’éditeur détient un titre phare qui lui assure des ventes récurrentes, son aventure ne s’arrête pas là, car GOURSAU et sa famille ont contracté le virus de la lexicographie et de l’édition. Depuis, leurs projets se sont multipliés et diversifiés. Ils éditent désormais des lexiques et des dictionnaires unilingues, bilingues ou multilingues, consacrés au football, aux termes militaires, à l’automobile, à la médecine, à la cuisine, à la marine, ainsi qu’aux “mots savants” et aux anglicismes.
Une autre thématique est également devenue centrale pour cet amoureux des langues, qui déclare en substance : “J’ai envie de casser la barrière linguistique qui sépare les gens.” Il s’agit de dictionnaires et guides de conversation destinés aux voyageurs. En 1997, son Dictionnaire international, 16 langues pour voyager lui vaut de figurer dans le Livre des records, comme contenant le plus grand nombre de langues dans un même dictionnaire. En 2012, il édite son Tour du monde en 180 langues, celles-ci étant aussi bien régionales qu’internationales. Quelques années plus tard, il lance une collection qui propose 200 phrases types traduites, pour voyager en Europe, en Asie et en Afrique. En 2015, il élabore également un fascicule destiné aux réfugiés syriens, qui, partant de l’arabe, traduit 200 phrases dans les 26 langues de l’Union européenne. Il n’oublie pas pour autant la richesse linguistique de la France, publiant en 2014 un Dictionnaire des langues régionales de France qui, grâce à la participation d’une centaine de linguistes et de locuteurs, répertorie 55 dialectes régionaux.
Pour en savoir plus sur le parcours de ce spécimen rare de lexicographe-dicopathe-éditeur, vous pouvez consulter cet article publié dans La Dépêche du Midi en janvier 2018 : Henri GOURSAU : une vie de dictionnaires, ainsi que la courte vidéo ci-dessous :
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