culture générale

Encyclopédie ou Dictionnaire universel raisonné des connoissances humaines [communément dénommée Encyclopédie d’Yverdon]

Auteur(s) : FELICE Fortunato Bartolomeo de

 à Yverdon [chez FELICE]
 
  1770-1780
 42 vol + 6 vol de supplément +10 vol de planches (37378 p.)
 In-quarto
 veau marbré, dos à cinq nerfs, caissons décorés de dorures, pièce de titre et de tomaison en rouge
 1261 planches de gravures sur cuivre


Plus d'informations sur cet ouvrage :

D’origine romaine, prêtre mais sympathisant de la Réforme, l’érudit Fortunato Bartolomeo de FELICE se réfugie à Berne en 1757, où il embrasse définitivement la religion protestante. Il y est chaleureusement accueilli par deux figures intellectuelles de la ville : Vinzenz Bernhard VON TSCHARNER, écrivain et historien, et Albrecht VON HALLER, médecin, naturaliste et critique littéraire très réputé dans toute l’Europe. À la recherche d’un éditeur scientifique, ces derniers confient à FELICE la responsabilité de la Société typographique de Berne dont l’objet consiste à élaborer et à diffuser des périodiques consacrés aux sciences et à la critique littéraire.

En 1762, il s’installe à Yverdon, près de Neuchâtel, en Suisse, et y fonde une imprimerie. Il traduit et diffuse avec succès des écrits scientifiques et philosophiques. Pendant que Charles-Joseph PANCKOUCKE et ses associés entreprennent de compléter l’Encyclopédie de DIDEROT et D’ALEMBERT (dite Encyclopédie de Paris et présente sur Dicopathe) achevée en 1765, un autre projet de refonte complète du texte prend corps dans les cantons helvétiques. Les intellectuels suisses, comme l’ensemble de l’Europe des Lumières, suivent de près et avec enthousiasme les travaux des encyclopédistes emmenés par Diderot. Pour autant, certains points de divergences ne tardent pas à apparaître.

Jugée incomplète dans certaines parties, trop “franco-française” et pas assez internationale sur certains sujets, l’Encyclopédie de Paris est surtout accusée d’être partiale et polémique, en particulier du point de vue religieux et théologique. Dans le même ordre d’idées on soupçonne les autorités civiles et religieuses françaises de brider les rédacteurs, nuisant ainsi à la cohérence de l’ouvrage. Revendiquant une liberté d’expression dont leurs homologues français n’ont pas bénéficié, les rédacteurs de l’Encyclopédie d’Yverdon précisent dans la préface : « La religion que nous professons, le gouvernement sous lequel nous avons le bonheur de vivre, nous permettent de dresser librement le tableau des connoissances humaines, tel qu’il est, sans consulter d’autres loix, que celles qu’imposent l’estime pour le vrai, l’estime pour le bien, en un mot une raison éclairée, sans crainte d’être opprimés par ce pouvoir aussi monstrueux que redoutable dont l’ignorance, le fanatisme, se servent pour étouffer la vérité ou en arrêter les progrès. » C’est ainsi que prend forme le projet de reprendre l’Encyclopédie en la corrigeant et en l’augmentant. Les rédacteurs ajoutent dans la préface qu’il s’agit « de joindre nos efforts à ceux des illustres savans qui nous ont précédés dans la même carrière afin de contribuer à la perfection d’un ouvrage si désirable et surtout moins défectueux ».

Autour de FELICE, qui assure la direction de l’ensemble, une équipe internationale se met progressivement en place. Les Suisses, les Français et les Allemands sont majoritaires dans un comité qui compte plus d’une trentaine de rédacteurs (27 ont signé leurs contributions, 7 autres ont été identifiés par la suite). De même que la Cyclopædia de CHAMBERS (présente sur Dicopathe) avait servi de point de départ à l’Encyclopédie de Paris, c’est elle qui, à son tour, servira de base de travail à l’Encyclopédie d’Yverdon (« Nous avons suivi l’Encyclopédie de Paris, article par article »). Pour autant certaines coupes sont pratiquées (« Nous avons abrégé ceux qui étoient d’une longueur révoltante », « Nous avons retranchés… les articles purement nationaux ») et surtout un grand nombre de parties sont “traitées à neuf” : théologie, histoire sacrée et ecclésiastique, histoire littéraire, agriculture, économie politique, etc.

Les articles refaits sont suivis de la lettre R, les nouveaux de la lettre N, les additions à un article ancien par des étoiles. Le noyau dur de l’équipe éditoriale est constitué, autour de FELICE, par les pasteurs Élie BERTRAND, Gabriel MINGARD et Alexandre César CHAVANNES. L’omniprésence de ces ministres réformés (auxquels il faut rajouter l’Irlandais MacLAINE et le pasteur allemand FORMEY qui ne signe pas ses articles) semble justifier la réputation d’Encyclopédie protestante, terme qu’on accole généralement à cet ouvrage tant leurs rédacteurs revendiquent clairement leur volonté de gommer l’esprit antireligieux de la version parisienne.

Les personnes chargées de surveiller la production éditoriale étant des proches de FELICE et de ses associés, le travail avance vite, sans connaître les embarras de la censure. Issus d’une imprimerie moderne et performante employant au moins une trentaine d’ouvriers, les ouvrages sortent à un rythme soutenu. Les 48 volumes de texte paraissent entre 1770 et 1776, au rythme de près de 8 volumes par an, chacun comportant en moyenne 800 pages. Les 10 volumes de planches sortent à partir de 1775, à raison de 2 volumes par an.

Au total, l’Encyclopédie d’Yverdon, dont le tirage est estimé entre 2 500 et 3 000 exemplaires originaux, compte 37 378 pages et renferme près de 75 000 articles et 1 261 planches. Parmi l’équipe de rédacteurs, moins nombreuse mais plus soudée dans la durée que celle de l’Encyclopédie de Paris, on compte très majoritairement, en plus de FELICE et des théologiens déjà cités, des scientifiques, qu’ils soient mathématiciens (EULER père et fils), des physiciens (WILLERMOZ, BARLETTI, CADET de GASSISOURT) ou des astronomes (GOUDIN, LALANDE). On y retrouve également un fort contingent de médecins : ANDRY, BOUILLET, GAUBIUS, LE PREUX, LIEUTAUD, LOUIS (un des futurs concepteurs de la guillotine), MACQUER, PORTAL et, bien sûr, VON HALLER qui contribue simultanément à la rédaction des suppléments de l’Encyclopédie de Diderot. On y rencontre également des hommes de lettres, des artisans, des juristes, des botanistes comme DELEUZE et des naturalistes. Au sein de cette équipe, Jean-Henri ANDRIE mérite que lui soit réservée une place à part, dans la mesure où l’Encyclopédie d’Yverdon ne lui doit pas moins de 4 116 articles nouveaux portant essentiellement sur la géographie.

Pour assurer la plus large diffusion possible à son ouvrage, FELICE s’associe avec une puissante maison d’édition hollandaise installée à La Haye : GOSSE & PINET. Cette dernière achète par avance les trois quarts du tirage et diffuse des appels à souscription dans l’Europe du Nord, la Russie et la Scandinavie. Ce montage permet d’assurer le succès de l’Encyclopédie d’Yverdon, alors même que le marché français lui est fermé par PANCKOUCKE qui détient le privilège royal de réimpression de l’Encyclopédie de Paris. Par ailleurs, en raison de sa réputation “protestante”, l’Encyclopédie d’Yverdon restera indésirable en Italie, en Espagne et dans les terres catholiques du centre et du sud de l’Europe.

Cet ouvrage, loin d’être un plagiat ou une version “contrefaite”, est à la fois une relecture de l’Encyclopédie de Paris et une nouvelle encyclopédie. Elle est considérée avec méfiance par les encyclopédistes parisiens qui, à de rares exceptions comme LALANDE et VON HALLER, refusent de s’y associer, d’autant que PANCKOUCKE, au même moment, est en train de publier ses suppléments, profitant du vide juridique autour des droits d’auteur. On le soupçonne d’ailleurs d’avoir commis des “emprunts” à l’Encyclopédie d’Yverdon pour alimenter les derniers suppléments de l’Encyclopédie de Paris.

En 1769, VOLTAIRE, qui nourrit une antipathie personnelle et ancienne vis-à-vis de FELICE, écrit à D’ALEMBERT : « Les éditeurs de Paris ont paru craindre un rival dans un apostat italien nommé Felice. C’est un polisson plus imposteur encore qu’apostat, qui demeure dans un cloaque du Pays de Vaud. » Pour autant, ce jugement ne l’empêche pas d’écrire l’année suivante : « Ils ont l’avantage de corriger beaucoup de fautes grossières qui fourmillent dans l’Encyclopédie de Paris… Pour moi, je sais bien que j’achèterai l’édition d’Yverdon et non l’autre. »



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