Morale chrétienne, Sexualité, Confession

Disputationum de sancto matrimonii sacramento

Tomi tres. Tomus hic libros sex ; quorum I. Agit de sponsalibus ; II. De essentia, & consensu matrimonii in genere ; III. De consensu clandestino ; IV. De consensu coacto ; V. De consensu conditionato ; VI. De donationibus inter conjuges, sponsalitia largitate, & arris

Auteur(s) : SANCHEZ Tomas

 à Anvers, chez les héritiers de Martinus NUTIUS & Joannes MEURSIUS (Antuerpiae, Heredes, Martinii NUTII & Ioannem MEURSIUM)
 
  1617
 1 vol (500-404-408 p.)
 In-folio
 ais de bois biseautés recouverts de peau de truie ornée sur les plats de roulettes et filets à froid en encadrement, restes de fermoir en laiton, dos à six nerfs, tranches bleues, titre manuscrit sur le dos
 lettrines ornées, culs-de-lampe, marque de l'imprimeur représentant une cigogne nourrissant sa vieille mère


Plus d'informations sur cet ouvrage :

À la suite de brillantes études, Tomas SANCHEZ intègre l’ordre des jésuites et acquiert rapidement une réputation d’érudit qui dépasse les frontières de l’Espagne. Ayant pris la direction du noviciat de Grenade, il s’intéresse de près à la formation des futurs confesseurs et entreprend la rédaction d’un manuel pratique destiné à les guider dans les questions relatives à la vie conjugale et en particulier à tout ce qui touche la vie sexuelle du couple. Il souhaite, comme l’indique le titre, que les conseils des confesseurs soient prodigués dans le strict respect du “saint sacrement” du mariage.

Le christianisme, reprenant l’héritage hébraïque, associe au mariage une vision morale de la sexualité dont le seul objectif “honorable” doit être la procréation. La notion de plaisir sexuel, quant à elle, fait l’objet de nombreuses spéculations : le plaisir est-il nécessaire pour garantir l’harmonie du couple et l’équilibre de chacun, ou au contraire est-il nuisible dans la mesure où il rapproche l’homme de la bestialité et l’éloigne des considérations spirituelles ? Au cours des siècles, le carcan moral entourant cette question se desserre progressivement, en même temps que se précisent les limites “légitimes” de la vie conjugale des époux.

Au XVe siècle, l’universitaire parisien MAISTRE peut ainsi écrire : « Je dis que chacun peut être autorisé à jouir de son plaisir, premièrement par pur goût du plaisir et deuxièmement pour échapper au dégoût de l’existence et aux tourments de la mélancolie qui accompagnent le manque de satisfaction des sens. S’il cherche à illuminer la tristesse qui s’installe en cas d’absence de jouissance sexuelle, le rapport conjugal n’est pas coupable. » Par la suite François de SALES légitime le plaisir sexuel tant que celui-ci s’exprime au sein du devoir conjugal. Dans le cadre d’une vie de couple harmonieuse, le plaisir sexuel, pour peu qu’il soit “pur” dans ses intentions et modéré dans sa recherche, devient le signe d’un “amour sacré” et d’un mariage accompli.

Rédigé en latin et publié en trois volumes entre 1602 et 1605, le De sancto matrimonii sacramento est publié à nouveau dès 1607 chez Martin NUTIUS à Anvers, dans une version qui servira de référence pour les suivantes. En 1617, cet éditeur, désormais associé à Joannes MEURSIUS, réédite le livre en un volume ; il s’agit de la version ici présentée. Le succès étant au rendez-vous, l’ouvrage est constamment réédité jusqu’en 1754. Soulignons cependant que la raison de cet engouement tient pour beaucoup au parfum de scandale que la postérité associera à ce livre.

Casuiste excessivement pointilleux, se voulant le plus exact et le plus exhaustif possible, SANCHEZ passe en revue un très grand nombre de pratiques sexuelles, dont certaines confinent à la perversion pure et simple. Sa longue pratique des confessions lui a certainement fourni une matière première abondante et imagée. Très pieux, menant une vie chaste et austère, l’auteur ne peut être raisonnablement suspecté de lubricité ou de complaisance. Néanmoins la crudité du propos et le souci de la précision technique sont poussés si loin dans les détails scabreux et triviaux que l’auteur a pu être taxé d’impudique et s’est même vu reprocher, à l’opposé de son intention initiale, d’inciter à la fornication. Quasiment toutes les pratiques possibles ont effectivement été traitées par le jésuite : positions diverses, sodomie, masturbation, incontinence sexuelle, attouchements plus ou moins poussés, bestialité, etc.

Dans le dictionnaire de BAYLE, on peut lire ainsi : « La témérité qu’il a eue d’y expliquer une multitude incroiable de questions sales & horribles peut produire de grans désordres. On s’en est plaint amèrement, & tout ce qui a été dit pour sa justification est foible, & néanmoins il y a des casuistes qui continuent tous les jours à publier de telles saletés. » Cet article cite également un représentant de l’Église de France qui assène, au sujet du De sancto matrimonii sacramento : « C’est un cloaque qui renferme des choses horribles & qu’on n’oseroit dire. On l’appelle avec justice un ouvrage honteux, composé avec une curiosité énorme, horrible & odieuse par la diligence & l’exactitude qui y règne, à pénétrer dans des choses monstrueuses, sales, infâmes & diaboliques. » PASCAL et les jansénistes en profitent pour railler la casuistique jésuite, suivis ensuite par des intellectuels et des ecclésiastiques gallicans.

SANCHEZ considère l’acte charnel béni par Dieu du moment qu’il se réalise dans le cadre légitime du mariage et dans un but de procréation, conformément à sa vision d’une morale conjugale. Dans de nombreux cas il manifeste une certaine clémence, ce qui ne manque pas de lui être vivement reproché et lui vaut d’être accusé de laxisme. Par exemple, il autorise « embrassements, baisers, et attouchements coutumiers entre les époux, pour témoigner et renforcer leur mutuel amour, même s’il y a danger de pollution involontaire ». Dans certaines circonstances précises, il semble témoigner d’une tolérance modérée envers le coïtus interruptus et le coïtus reservatus, pratiques dont il est l’un des premiers à parler ouvertement.

Taxé d’immoralité, SANCHEZ est à plusieurs reprises poursuivi en justice, mais les actions engagées contre lui n’aboutissent pas en raison du soutien de sa hiérarchie qui met en avant sa probité sans faille et prend soin de préciser l’objectif utilitaire du De sancto matrimonii sacremento. Cela n’empêche pas le troisième volume du livre de subir en 1627 une mise à l’index, qui s’avèrera peu suivie dans les faits.

Dans les siècles suivants, cette réputation de livre “pervers” lui assure une célébrité durable, et il est souvent cité par des libertins, des anticléricaux et des libres-penseurs, comme VOLTAIRE, qui y voient le moyen de tourner en ridicule la morale chrétienne et l’Église catholique. LAROUSSE écrit ainsi, dans son Grand dictionnaire (présent sur Dicopathe) : « Lisez SANCHEZ pour connaître le vocabulaire des cas de conscience et voir toutes les questions immondes que les confesseurs peuvent poser à leurs pénitentes. »

Pour guider le lecteur dans ses recherches, un index est placé en fin d’ouvrage. Le premier contre-plat est orné d’un bel ex-libris composite et “chronologique” retraçant la succession des propriétaires : au centre, un blason au nom de Pierre GUIRAUD avec la devise : « Da laborem dabo fructus » (« Donne ton travail, je donnerai mes richesses »), au-dessous, entourant un second blason, celui de la famille TESTU de BALINCOURT avec la devise « Vis leonis » (« La force du lion »), dédicace en latin aux familles REINAUD et REINAUD de GENAS (côté droit), pour aboutir à leur héritier Claude-Alexandre-Edgard TESTU, comte de BALINCOURT (côté gauche), qui a fait composer cet ex-libris.

Deux exemples (d’après une traduction de Jean-Louis FLANDRIN)

*au sujet de la posture “Mulier super virum” (la femme sur l’homme) :

« Ce mode est absolument contraire à l’ordre de la nature, puisque cela s’oppose à l’éjaculation de l’homme, et à la réception et la rétention de la semence dans le vase féminin. Ensuite, non seulement la position, mais la condition des personnes importe aussi. il est en effet naturel pour l’homme d’agir, pour la femme de pâtir ; et l’homme étant dessous… il subit, et la femme étant dessus agît ; et combien la nature abhorre cette mutation, qui ne le voit ? »

*au sujet de la position dite “retro” ou “more canino” (à l’envers ou à la manière du chien) :

« Puisque la nature prescrit ce mode aux bêtes, l’homme qui en prend le goût devient semblable à elles. »

NB : pour découvrir un autre dictionnaire, beaucoup plus “chaste”, destiné à guider les confesseurs, nous invitons le lecteur à consulter la fiche consacrée au Dictionnaire des cas de conscience, de PONTAS (présent sur Dicopathe).



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