Français (langue), Lexicographie

Dictionnaire de la langue françoise ancienne et moderne

Auteur(s) : RICHELET César Pierre, GOUJET Claude-Pierre

 à Lyon, chez Pierre BRUYSET-PONTHUS, libraire, Grande rue mercière, à la Croix d'or
 
  1759
 3 vol : tome 1. A-D (802 p.), tome 2. E-O (787 p.), tome 3. P-Z (904 p.)
 In-folio
 veau fauve, dos à cinq nerfs, caissons ornés de fleurons dorés
 bandeau allégorique au début de chaque tome du dictionnaire, culs-de-lampe, lettres ornées


Plus d'informations sur cet ouvrage :

D’abord enseignant puis avocat, César-Pierre RICHELET ne s’épanouit guère dans la vie professionnelle, étant beaucoup plus attiré par la littérature. Il s’essaie dans un premier temps à la poésie et à la satire, puis il se lie avec Frémont d’ABLANCOURT et avec l’oncle de celui-ci, Nicolas PERROT d’ABLANCOURT, élu académicien en 1637. Grâce à leur soutien, il est introduit dans le milieu littéraire parisien et fréquente le salon de l’abbé d’AUBIGNAC. Peu à peu il se bâtit une solide réputation de traducteur et de correcteur. Mais c’est dans son rôle de grammairien qu’il va trouver se véritable vocation.

L’ouvrage de Jean NICOT (présent sur Dicopathe), publié plus de soixante-dix auparavant, reste précurseur, mais RICHELET est le premier à entreprendre et à mener à terme ce qu’on peut définir comme une mission académique consistant à fixer, codifier et promouvoir la langue française. Avant même d’être publié, ce dictionnaire constitue un évènement en soi, car il s’agit du premier véritable dictionnaire monolingue du français classique. Mais son projet, qui prend le titre de Dictionnaire françois des mots et des choses, vient contrecarrer de facto celui des Académiciens prompts à défendre leur “chasse-gardée”.

Dès sa fondation, l’Académie française se donnait en effet pour mission d’établir un dictionnaire français destiné à servir de référence universelle. Devant le caractère très laborieux des délibérations et des séances, dû en grande partie à des conflits de personnes et des querelles intestines, et la vitesse dérisoire de l’avancement des travaux, deux projets concurrents sont entrepris : celui de FURETIÈRE qui ira jusqu’à la rupture totale avec ses collègues académiciens, et celui de RICHELET qui est le premier à aboutir en 1680, soit quatre ans avant celui de FURETIÈRE (présent sur Dicopathe). Le dictionnaire officiel de l’Académie française ne verra le jour que quatorze ans plus tard, en 1694.

Si le projet de RICHELET se heurte au monopole de l’Académie, il peut compter sur un soutien de poids au sein même de l’institution. Par l’intermédiaire de PERROT d’ABLANCOURT, RICHELET a fait la connaissance d’Olivier PATRU qui lui permet d’assister aux séances de l’illustre assemblée. Membre depuis 1640, ce dernier, brillant prosateur, était particulièrement excédé par l’extrême lenteur du travail de ses collègues. C’est pourquoi il décide de s’impliquer dans le travail de RICHELET en lui apportant, outre son soutien, l’aide directe d’un petit cercle composé de CASSANDRE, MAUCROIX, RAPIN et BOUHOURS.

Afin de contourner le privilège de 1674 qui accorde à l’Académie un monopole sur la production lexicographique française, RICHELET confie la publication de son ouvrage à WIDERHOLD, éditeur installé à Genève, qui se charge de le faire imprimer hors du royaume. N’étant pas autorisé en France, le livre y est introduit clandestinement, au risque d’être intercepté. Suite à une dénonciation, 1 500 exemplaires sont saisis à Villejuif et détruits à Paris. Très affecté par la mésaventure, WIDERHOLD meurt peu après, suivi par le libraire dénonciateur, BENARD, assassiné par un inconnu en plein Paris.

En opposition avec la méthode adoptée pour élaborer le dictionnaire de l’Académie, RICHELET entend, dès l’origine, bâtir son dictionnaire sur des citations d’auteurs anciens et contemporains, choisies pour servir de caution à un bon usage lexical et grammatical des termes définis. Les Académiciens s’étaient longuement déchirés sur le rôle à accorder aux citations, et une fraction importante d’entre eux avaient refusé d’entériner la décision finale de ne pas y recourir. Ces polémiques expliquent probablement le soutien de certains membres de l’Académie à RICHELET. C’est ainsi que se trouvent dans le Dictionnaire françois des phrases dues à CORNEILLE, VOITURE, BOILEAU, SCARRON, GUEZ de BALZAC, mais aussi, bien sûr, à PERROT d’ABLANCOURT et à PATRU.

Les termes jugés dialectaux ou archaïques sont exclus du dictionnaire. En théorie, RICHELET se défend de toute trivialité, mais de nombreuses citations “osées” voire obscènes émaillent l’ensemble. REY cite ainsi l’exemple de Tabouret, au sens de siège accordé aux dames nobles chez la reine, qui est illustré par la citation de SCARRON :

« Au plaisir de tous et de votre jarret

votre cu qui doist estre un des plus beaux de France

comme un cu d’importance

a reçu chez la Reine, enfin, le tabouret. »

De même, esprit mordant et volontiers polémique, RICHELET place parfois des piques envers certaines personnes comme CONDÉ et, plus curieusement, envers la ville de Grenoble. Ces traits particuliers seront par la suite “corrigés”, donnant par là même une grande valeur à l’édition originale.

Les 25 500 entrées de l’ouvrage permettent, par la richesse du vocabulaire traité, de considérer qu’il répond à un véritable projet encyclopédique, précurseur des grandes séries à venir. De plus, ce livre est aussi le premier, et restera longtemps le seul, à indiquer la prononciation des mots en insistant sur les accents, et à accepter les définitions médicales des noms d’usage courant. La présentation se veut claire (classement alphabétique de la nomenclature avec mise en relief des entrées par différentes techniques typographiques), faisant de ce livre le premier dictionnaire à distinguer de la sorte les divers sens d’un mot.

Même si ce dictionnaire est bien vite surclassé par les 40 000 entrées du dictionnaire de FURETIÈRE, son succès se maintiendra et sera confirmé par les nombreuses versions et rééditions qui se succèderont à un rythme soutenu. Si le titre de l’ouvrage lui-même est peu à peu modifié, il devient pour la postérité le Richelet. L’édition de 1759 ici présentée, intitulée Dictionnaire de la langue françoise ancienne et moderne, est l’œuvre de l’abbé Claude-Pierre GOUJET. Cet érudit élargit le champ lexical de près de 10 000 mots supplémentaires, en particulier dans les domaines de la médecine, du commerce, de la marine et de l’art militaire. Cette nouvelle version a pu bénéficier des nombreuses augmentations et corrections contenues dans les rééditions antérieures, comme celle de1709 dirigée par Jean-Claude FABRE de l’ORATOIRE comprenant déjà plus de 6 000 définitions supplémentaires, et celle de 1728 dirigée par Pierre AUBERT qui a rajouté des définitions concernant l’histoire, la critique et le droit.

Si on parle toujours du dictionnaire de RICHELET, on est désormais loin de la version originale. La préface du dictionnaire ici présenté précise que « nous avons retranché sans ménagement toutes ces obscénités… répandues dans les premières éditions de son livre & dont les éditeurs postérieurs avoient encore épargné une partie ». Il est avéré qu’en effet RICHELET avait inséré dans son dictionnaire quelques saillies envers plusieurs écrivains, comme AMELOT de LA HOUSSAYE et VARILLAS, qui sont supprimées sans états d’âme. Dans le même ordre d’idées, la suppression d’exemples « qui pouvoient inspirer quelque idée ou quelque maxime dangereuse » fait sans doute écho à la version de FABRE de l’ORATOIRE qui avait introduit des éléments jansénistes dans le dictionnaire.

L’équivalent latin est indiqué entre crochets. L’étymologie et la prononciation sont souvent précisées. Enfin l’orthographe d’origine des termes définis, qualifiée ici de “vicieuse” car datée et désormais considérée comme incorrecte, est conservée, mais l’orthographe courante est indiquée entre parenthèses.



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