Dictionnaire de la langue bretonne
où l'on voit son antiquité, son affinité avec les anciennes langues, l'explication de plusieurs passages de l'Écriture Sainte, et des auteurs profanes, avec l'étymologie de plusieurs mots des autres langues
Auteur(s) : LE PELLETIER Louis
Plus d'informations sur cet ouvrage :
Natif du Mans, Louis LE PELLETIER entre très jeune dans la congrégation bénédictine de Saint-Maur, au sein de laquelle il témoigne d’un grand intérêt pour la philologie et les langues anciennes. Au cours d’un séjour de huit ans, entre 1692 et 1700, à l’abbaye Saint-Mathieu de Fine-Terre bâtie face à l’océan à l’extrémité occidentale de la Bretagne, il découvre la langue bretonne pour laquelle il va désormais se passionner.
À L’époque où LE PELLETIER se plonge dans l’étude du Breton, la langue, encore subdivisée en dialectes locaux, connaît une certaine renaissance depuis la fin du Moyen-âge. Terminé dès 1464 et imprimé pour la première fois en 1499, le Catholicon de Jehan LAGADEUC rédigé en breton, français et latin est le premier ouvrage trilingue paru en occident. À l’époque de sa parution, alors que le français s’impose de plus en plus comme la langue “nationale”, la redécouverte de l’histoire et de la civilisation des Celtes, plus particulièrement celles des Gaulois, se développe en parallèle.
Dans son livre Antiquité de la Nation et de la langue celtes autrement appelez Gaulois, publié en 1703, Dom PEZRON défend ainsi l’idée que les grandes civilisations et langues de l’Antiquité découlent toutes directement celles des Celtes. Dans la dédicace du dictionnaire présenté ici, on peut lire la phrase suivante, très révélatrice : “L’étude de la langue bretonne n’est pas une spéculation frivole. Cette langue, la plus ancienne peut-être de celles que l’on parle aujourd’hui dans l’univers, nous conduit à la connoissance de nos origines”.
LE PELLETIER considère que les langues celtiques constituent l’héritage commun d’une langue primordiale qui aurait été “la langue commune à tout l’Occident” dont découlerait toute la culture antique. Il centre son analyse sur l’étymologie afin de remonter à l’origine première des mots et s’assurer qu’ils ont bien une racine celte. Jugeant que les idiomes parlés en basse-Bretagne ont été fortement altérés avec le temps, il en compare systématiquement les termes avec ceux utilisés au Pays de Galles dont la langue, considérée comme plus “pure”, dispose d’un corpus linguistique complet. En effet contrairement à d’autres contrées de culture celtique, le gallois a longtemps bénéficié de la part des autorités royales d’une relative tolérance qui lui a permis de se doter de textes écrits. C’est ainsi que la Bible est traduite dans cette langue dès le XVIe siècle. Grâce au pasteur John DAVIES, le gallois dispose dès 1621 d’une grammaire, puis en 1632 d’un dictionnaire dont va se servir LE PELLETIER. À l’évidence sa démarche comparative prend tout son sens, car le breton d’Armorique et le gallois appartiennent à la même famille, celle des langues brittoniques.
Pendant près de vingt-cinq années, dans sa nouvelle retraite du monastère de Landévennec, notre érudit va travailler d’arrache-pied, pour réaliser un imposant travail d’analyse linguistique. Il sera, semble-t-il, aidé dans sa tâche par un certain ROUSSEL de LÉON, souvent cité dans les articles. Bien que le manuscrit soit terminé dès 1725, il n’est pas publié sans que l’on en sache la raison.
Après la mort de Le PELLETIER, décédé en 1733, la publication du dictionnaire devient d’actualité, d’autant que le livre bénéficie de l’appui et du soutien financier des États de Bretagne, dédicataires de l’ouvrage. Corrigé et remanié par dom Charles-Louis TAILLANDIER, qui le complète par une préface où il retrace les grandes lignes de l’histoire de la langue bretonne, le livre est enfin publié à Paris en 1752. Il s’agit de l’ouvrage ici présenté en édition originale.
Dans ses articles, LE PELLETIER prend soin d’indiquer les multiples variantes orthographiques et phonétiques des mots, grâce à sa comparaison avec le gallois qui lui permet de dégager une racine commune et de relever les polysémies. Il passe en revue les différents mots pour étudier leurs équivalents dans d’autres langues, en particulier dans le grec ancien, le latin et ponctuellement l’hébreu, le phénicien et l’allemand. La prose de l’auteur est souvent un peu érudite et embrouillée, comme le signalera d’ailleurs TAILLANDIER : “Ses phrases sont quelquefois louches, sa construction vicieuse & presque toujours embarrassée”. En dépit de ces réserves, ce dictionnaire de la langue bretonne va s’imposer comme une référence sur le sujet jusqu’à la parution des travaux de LE GONIDEC qui unifiera l’orthographe et éditera en 1821 son fameux Dictionnaire celto-breton .
Dans sa préface dom TAILLANDIER dresse un constat alarmant de la situation de la langue bretonne : “Une langue ne peut manquer de périr pour toujours, si on en vient à cesser de la parler. Et cela ne peut beaucoup tarder, le François étant déjà la langue vulgaire non seulement dans les villes, mais aussi dans les bourgs, bourgades, passages et auberges, de sorte que l’on entend presque plus le Breton dans les villages et aux foires où les paysans portent leurs denrées. Ceux-ci se voient méprisez pour leur ignorance de la langue dominante”. Il met ainsi le doigt sur un bilan incontestable ; la langue en recul face au français est de plus en plus considérée, dans la province de Bretagne, comme la langue vernaculaire des paysans, des pauvres et des analphabètes. Bien que le breton soit alors une langue vivante avec un nombre assez important de locuteurs, TAILLANDIER pointe le fait que son lexique est assez limité, ne s’étant enrichi au cours des siècles que par des emprunts souvent déformés à d’autres langues, en particulier dans les domaines technique, artistique, économique et politique.
Portée par une celtomanie qui se développe dès la fin du XVIIIe siècle pour s’épanouir pleinement au XIXe siècle, l’étude de la langue bretonne va connaître un essor important. Ce regain d’intérêt préservera une langue qui ne cessait d’être en constant recul et lui permettra d’acquérir enfin une unité lexicographique et grammaticale. Un siècle plus tard, Théodore HERSART de LA VILLEMARQUÉ rendra un hommage appuyé à LE PELLETIER qui “le premier, avec l’autorité que lui donnait sa qualité de Bénédictin, introduisit un peu d’ordre et de méthode dans l’étude, jusque-là confuse et sans critique, de la langue bretonne”.