Civilisation celtique, Gaulois, Histoire de l antiquité

Antiquité de la nation et de la langue des Celtes, autrement appellez Gaulois

Auteur(s) : PEZRON Paul-Yves

 à Paris, chez Jean BOUDOT, impimeur du Roy & de l'Académie royale des sciences, rue S. Jacques, au Soleil d'or
 
  1703
 1 vol (440 p.)
 In-douze
 cuir brun, dos à cinq nerfs, caissons ornés de motifs dorés
 bandeaux décoratifs, culs-de-lampe


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Conséquence inattendue de la redécouverte des textes et de la culture gréco-latine, l’histoire et la civilisation des Celtes, longtemps tombées dans l’oubli, sont peu à peu remises à l’honneur en Occident. Dès la fin du Moyen Âge, des auteurs tentent de réhabiliter l’héritage culturel “originel” des peuples qui seront par la suite hellénisés et romanisés. Ce mouvement s’inscrit dans l’émergence, encore très embryonnaire, d’une vision “nationale” des peuples et des pays, qui s’appuie souvent sur des approximations, des affabulations voire des falsifications. Soucieux d’affirmer l’antiquité de leur généalogie, certaines maisons princières et royales favorisent cette entreprise de redécouverte. Pour elles, il ne s’agit pas de renier la culture gréco-latine, mais plutôt d’en revendiquer la paternité. En Europe occidentale, certains historiens s’efforcent de démontrer que les peuples “indigènes” auraient été à l’origine de la civilisation, au point, pour les Grecs et les Romains, de leur devoir les fondements de leur culture.

Dans son célèbre ouvrage Illustrations de Gaule et singularité de Troie, Jean LEMAIRE de BELGES cherche à prouver la fondation par les Gaulois de la ville de Troie. Cette affirmation n’est pas anodine, car de nombreux peuples, dont des tribus gauloises de Belgique, revendiquaient une ascendance légendaire, de l’ÉNÉE des Latins au BRUTUS des Bretons, en passant par le FRANCION des Francs. Dans son De prisca celtopædia daté de 1557 (présent dans Dicopathe), PICARD de TOUTRY, pour sa part, s’appuie sur des comparaisons étymologiques et linguistiques pour démontrer que les Gaulois se sont installés à un moment ou un autre en Grèce et sont à l’origine de la culture grecque. De plus, s’appuyant sur un texte médiéval, qui se révèlera être une supercherie littéraire, les érudits dotent les Gaulois d’une généalogie qui les fait remonter à JAPHET, l’un des fils de NOÉ.

À noter quand même que ces théories sont loin d’être dominantes et universellement admises, l’héritage germanique, en particulier carolingien, étant lui aussi valorisé. Dans la noblesse et certains milieux princiers prévaut la théorie selon laquelle les nobles descendraient des conquérants francs et le “peuple” des Gallo-Romains soumis, principe qui sera théorisé par le comte de BOULAINVILLIERS.

Après de brillantes études de philosophie et de théologie, le cistercien Paul-Yves PEZRON (sans doute une déformation de PÉRON, patronyme très répandu en Bretagne, sa province natale) obtient un doctorat à la Sorbonne. Un temps supérieur du collège des Bernardins à Paris, il devient en 1697 abbé de Charmoye, en Champagne. Érudit, il est également connu pour ses talents de chronologiste, fonction qui consiste à reconstituer des chronologies en se basant sur différents écrits et en particulier sur l’histoire sainte. Dans ce domaine, il se fait remarquer par sa querelle avec un autre savant, le bénédictin Michel LE QUIEN.

Ses travaux sur l’Antiquité l’amènent à se pencher sur le rôle des Celtes dans l’histoire. En 1703, il fait paraître un livre qui fera date sur le sujet : Antiquité de la nation et de la langue des Celtes, autrement appellez Gaulois, édité par Jean BOUDOT, imprimeur du roi et de l’Académie des Sciences. Il s’agit de l’ouvrage ici présenté. Les théories ethniques, historiques et linguistiques exposées par PEZRON vont servir pour des décennies de point de départ pour une nouvelle forme de “celtomanie” promise à un nouvel âge d’or à l’époque romantique. Les thèses développées reposent sur des hypothèses particulièrement hardies qui n’hésitent pas à placer les Celtes au centre de l’histoire de l’humanité depuis les origines du monde.

En bon exégète de la Bible, PEZRON part du récit de la Genèse pour désigner GOMER comme l’ancêtre direct des Celtes. Celui-ci, fils de JAPHET, serait un des seize petits-fils de NOÉ, d’où le nom de Gomarites ou Gomariens, dont on trouve trace chez l’historien juif FLAVIUS JOSÈPHE. Il situe le berceau de ce premier peuple en “Haute-Asie”, dans une vaste zone délimitée par la Médie (Perse), la mer Caspienne et la Bactriane. Au contact des Perses, ce peuple prend par la suite le nom de “Saques”, qui donnera ensuite le terme grec de “Scythes”. Ce peuple migre vers l’ouest, occupant l’Arménie, pendant qu’une de ses branches s’installe dans le Caucase et prend le nom de “Cimmériens”. Une autre branche, poursuivant son chemin vers la Cappadoce et la Phrygie, fait souche dans un nouveau royaume qui prendra plus tard le nom de Galatie, terme qui serait à l’origine du mot Gaulois. Toujours selon PEZRON, les Celtes y fondent une monarchie guerrière puissante et, sous le nom de “Titans”, partent à la conquête de la Grèce, des Balkans et de la Crète.

Adoptant une théorie particulièrement audacieuse, notre auteur n’hésite pas à interpréter de manière très personnelle la mythologie grecque. Pour PEZRON, les Titans, considérés comme des dieux originels dans les mythes grecs, seraient en vérité les rois celtes divinisés. C’est ainsi que, à la tête des Titans, OURANOS, SATURNE et JUPITER se seraient succédé, fondant un vaste empire s’étendant de l’Asie mineure à l’Atlantique et aux Îles britanniques avant de se fixer « entre l’Océan & le Rhin, entre les Alpes & les Pyrénées » et de prendre l’appellation définitive de Gaulois.

Il va sans dire que les démonstrations de PEZRON s’appuient sur des sources livresques tardives qu’il interprète à l’excès avec beaucoup d’assurance et d’autorité. Il mélange ainsi plusieurs faits historiques comme l’expansion celte, les migrations germaniques et les invasions des peuples de la mer. Il n’hésite pas à faire des Celtes les fondateurs de la civilisation minoenne et de Sparte, en leur prêtant une parenté directe avec les peuples comme les Cimbres et des Teutons. En Italie antique, il range les Ombriens, les Sabins et les Osques dans la zone d’influence celtique.

Pour appuyer son propos, PEZRON recourt à la linguistique et à l’étymologie pour démontrer l’existence d’une langue celtique originelle dont découleraient les langues européennes. Il met en avant le fait que cette langue subsiste encore dans le breton et le gallois : « La langue des Titans, qui a été celle des anciens Gaulois, s’est conservée jusqu’à nous, après la révolution de près de quatre mille ans. Chose étonnante, cette langue si ancienne est celle que parlent encore aujourd’hui les Bretons de France, & les Galois d’Angleterre. » Il place ainsi le grec et le latin dans la lignée des langues celtiques, car la « langue de ces mêmes Titans qui ont dominé quelques siècles sur la Grèce & sur l’Italie a été toute mêlée avec celle & des premiers Grecs & des anciens Latins. » L’occasion lui est ainsi donnée d’attribuer une lointaine paternité celte à la civilisation gréco-romaine.

La notion de langue indo-européenne étant alors complétement inconnue, PEZRON joue sur les ressemblances et les étymologies, parfois hasardeuses, pour rattacher au celtique des langues pourtant très diversifiées. Il se permet de déceler une affinité entre la langue des Celtes et l’hébreu. Poussant sa logique jusqu’au bout, il donne à l’allemand une origine celtique transmise par les peuples teutons et va, sur sa lancée, jusqu’à lui prêter un cousinage avec la langue perse. À la fin du livre, l’auteur inclut trois tables de mots grecs, latins et allemands, censément issus du gaulois.

Si, au vu des découvertes archéologiques et des travaux historiques ultérieurs, les théories de PEZRON semblent bien fantaisistes, pour ne pas dire farfelues, elles servent de base à d’autres auteurs qui vont alimenter une littérature sur les origines légendaires et la civilisation des Celtes. Entre 1740 et 1750, Simon PELLOUTIER publie une vaste Histoire des Celtes et particulièrement des Gaulois et des Germains, depuis les tems fabuleux jusqu’à la prise de Rome par les Gaulois qui se montre plus “scientifique” et prudente que l’ouvrage de PEZRON. À la même époque, le comte de CAYLUS pose les bases d’une archéologie scientifique. De son côté, Théophile Malo de LA TOUR d’AUVERGNE-CORRET, militaire célèbre mais également farouche défenseur de la langue bretonne et “celtisant” avant l’heure, reprend largement les théories de PEZRON, dans son livre Origines gauloises. Celles des plus anciens peuples de l’Europe, puisées dans leur vraie source ou recherche sur la langue, l’origine et les antiquités des Celto-Bretons de l’Armorique, pour servir à l’histoire ancienne et moderne de ce peuple et à celle des Français.

À sa mort en 1800, il travaillait sur un vaste dictionnaire dans lequel il comparaît le breton à 45 autres langues. Au XIXe siècle, la celtomanie prendra une tournure plus littéraire et artistique, avant de servir de base à une histoire nationale “revisitée”, en particulier sous Napoléon III et la IIIe République.



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