Qu’ils soient préexistants ou inventés, encyclopédies et dictionnaires sont parfois utilisés comme “protagonistes” ou sujets de romans ou de nouvelles. Pour sa part, la Science-fiction peut s’enorgueillir de compter dans ses rangs deux œuvres encyclopédiques imaginaires autour desquelles se sont construits des univers particulièrement riches et complexes.
Asimov et la saga « Fondation »
La plus ancienne des deux fait partie intégrante d’un cycle de romans devenu un space opera culte : Fondation. Rien ne semblait pourtant prédestiner son auteur, Isaac ASIMOV, brillant étudiant en sciences et en chimie, à devenir un des grands noms d’un genre littéraire alors en pleine expansion. Après un premier essai remarqué, il publie, entre 1942 et 1950, une série de nouvelles dans la revue Astounding Science Fiction. En 1951, quatre de ces nouvelles, complétées par un cinquième chapitre, sont rassemblées dans un livre intitulé Fondation. Trois autres titres publiés en 1945 constitueront Seconde Fondation, et deux nouvelles datées de 1948 et 1949 le troisième tome Fondation et Empire (ci-dessous une édition américaine et une traduction française).
Après des débuts plutôt confidentiels, ce cycle va devenir une référence mondiale. En 1966, il se voit même couronné par le prix Hugo comme la meilleure série de science-fiction “de tous les temps”. Entre 1982 et 1993, ASIMOV prolongera la saga avec quatre autres ouvrages chronologiquement situés avant et après le cycle originel.
Cette épopée se déroule à 22 000 ans dans le futur. À cette époque, la population humaine a essaimé dans l’espace et fondé un Empire galactique dont le siège se situe sur la planète Trantor. Cet état compte 25 millions de planètes et un trillion d’habitants, population exclusivement composée d’humains, les extraterrestres étant absents de la série. Dans cet univers, le mathématicien Hari SELDON forge une nouvelle science, construite à la fois sur les mathématiques et la psychologie : la psychohistoire. Basée sur l’analyse statistique, celle-ci est censée établir la probabilité de réalisation des événements futurs, et anticiper ainsi l’évolution de la société.
Or, au terme de ses recherches, SELDON arrive à une conclusion désastreuse : la chute de l’Empire galactique est proche – dans cinq siècles au mieux – et inéluctable, et sera suivie par une période de 30 000 ans de barbarie. Au terme de cette période de déclin, un nouvel Empire, encore plus puissant, verra le jour. Cette nouvelle est très mal accueillie par les autorités, qui y voient un moyen de renverser le pouvoir en place ! De son côté, SELDON établit un plan pour que l’avènement de ce nouvel Empire survienne plus tôt, soit dans un délai d’un millénaire seulement.
L’Encyclopedia Galactica, une œuvre « cosmique »
Pour hâter le retour d’un Empire renforcé, le principal moyen imaginé par SELDON consiste à élaborer une encyclopédie générale qui regroupera l’ensemble des connaissances de l’humanité. Cette somme doit permettre de sauvegarder le savoir avant le retour à la barbarie, qui fera reculer la civilisation et sombrer la société dans l’ignorance et le sous-développement. Cette vision se réfère aux grands Empires et aux brillantes civilisations qui, par le passé, ont disparu corps et biens, emportant avec eux leur culture et leurs connaissances. Cet ouvrage, promis à être gigantesque, à l’échelle de la multitude de mondes qu’il doit décrire, porte le nom d’Encyclopedia Galactica.
Jugés dangereux, SELDON et ses fidèles sont exilés sur deux planètes situées aux confins de la galaxie, où vont naître deux communautés, qui prennent le nom générique de « Fondation ». Le créateur de la psychohistoire s’installe sur l’une d’elles, baptisée Terminus. Il est accompagné de 100 000 personnes chargées de l’aider à élaborer l’Encyclopedia Galactica. Malgré de nombreuses crises, péripéties et retournements de situation étalés sur plusieurs siècles, ceux qu’on appelle les Encyclopédistes réussissent, grâce au labeur de nombreuses générations, à achever leur travail alors que cette encyclopédie en est rendue à sa 116e édition, soit en l’an 1020 de l’ère de Fondation.
Élément important utilisé au début de l’histoire pour justifier la naissance de Fondation, l’Encyclopedia Galactica n’occupe pas une place centrale au sein d’une intrigue complexe et tortueuse. Elle reste virtuelle, ne se manifestant que par la présence de citations et d’extraits, placés en préambule des chapitres et destinés à procurer des informations sur des personnages, des lieux ou des événements. En bons dicopathes, nous ne pouvons néanmoins qu’être sensibles à la belle idée d’une encyclopédie servant de “sauvegarde” de la civilisation, d’autant que ce projet d’un recueil de dimension “cosmique” de la connaissance humaine n’est pas sans rappeler le mythe d’une encyclopédie “absolue” et ultime, entretenu par les érudits depuis des siècles.
H2G2 : une série culte parodique
L’Encyclopedia Galactica sera par la suite évoquée dans différentes œuvres de science-fiction, mais elle se trouvera totalement ressuscitée et revisitée, dans une optique ouvertement parodique et comique, par Douglas ADAMS. Proche des Monty Python, avec lesquels il partage le goût pour le non-sens et l’humour absurde, l’humoriste se lance sur le tard dans l’écriture, rédigeant en 1977 une série radiophonique intitulée The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy. Diffusée par la BBC l’année suivante, celle-ci rencontrera un énorme succès public qui incitera ADAMS à l’adapter en roman.
Le livre sort en 1979 (ci-dessous à gauche), premier d’une “trilogie en cinq parties”, s’échelonnant jusqu’au dernier tome qui sort en 1992. La série est traduite en français à partir de 1982 (ci-dessous, à droite, deux versions différentes, le premier titre Guide du Routard galactique ayant dû être modifié, suite à la plainte de l’éditeur du célèbre guide de voyage).
Devenue une véritable série culte, en particulier dans les pays anglo-saxons, les ouvrages qui la composent sont le plus souvent désignés sous l’acronyme H2G2. Enfin, le film, sorti en 2005, contribue définitivement à populariser cette appellation.
La série met en scène les tribulations d’Arthur DENT, un Anglais moyen qui assiste, le même jour, à la destruction de sa maison, condamnée pour faire passer une route, et à la destruction de la Terre par des extraterrestres, afin de construire une voie express à travers la Galaxie. Notre homme est sauvé in extremis par son ami Ford PREFECT, qui se révèle être originaire de Bételgeuse et travaille comme enquêteur pour l’élaboration de la fameuse encyclopédie cosmique.
Reconnaissable par la mention “Pas de panique !”, qui figure en lettres capitales sur la couverture, ce guide touristique est en fait une véritable encyclopédie de l’univers, ce qui en fait le pendant “humoristique” de celle évoquée par ASIMOV. ADAMS souligne d’ailleurs lui-même cette parenté : “Ce livre a même supplanté depuis longtemps la grande Encyclopedia Galactica comme dépositaire de la sagesse et de la connaissance.” Le mot « livre » est d’ailleurs impropre, car il n’a “ni caractères, ni feuillets” et, pour l’utiliser, “on n’a besoin que d’oreilles”. Les adaptations successives finiront par lui donner la forme d’un ordinateur de poche, ressemblant à une tablette actuelle, rangé dans un étui protecteur en matière plastique.
Le récit, constitué d’articles supposés être extraits de H2G2, est rédigé dans un style ironique et pince-sans-rire. Ces articles permettent à l’auteur de présenter l’univers déjanté et loufoque de sa série, sans avoir besoin de multiplier dialogues et longs chapitres explicatifs. Nous y apprenons qu’une serviette de toilette est l’outil le plus indispensable qui soit à un auto-stoppeur interstellaire, et que le secret pour apprendre à voler est de tomber en ratant exprès le sol. Nous nous familiarisons avec le principe abscons de la navigation bistromathique, ou encore avec la recette du Gargle Blaster pan-galactique, cocktail à l’effet foudroyant, car le boire “c’est comme avoir la cervelle écrabouillée par un gros lingot d’or entouré d’une rondelle de citron”.
À l’initiative d’ADAMS lui-même, cette encyclopédie humoristique a fini par engendrer, en avril 1999, une encyclopédie collaborative en ligne, nommée, comme il se doit, H2G2. Peu avant la mort de l’écrivain en mai 2001, le site est hébergé par la BBC mais, confrontée à des restrictions budgétaires, cette dernière le cèdera en 2011 aux fondateurs de Digital Village, qui continuent à prolonger l’œuvre du créateur.
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